Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/35

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blessure ne se trouva pas dangereuse, la balle n’ayant point touché les os ; mais j’étais dans un tel état d’excitation qu’il fut impossible de me panser sur-le-champ. Au moment où le fiacre partait, je vis à la portière une main tremblante ; c’était mon adversaire qui revenait encore. Je secouai la tête pour toute réponse ; j’étais dans une telle rage, que j’aurais vainement fait un effort pour lui pardonner, tout en sentant bien que son repentir était sincère.

Arrivé chez moi, le sang qui coulait abondamment de mon bras me soulagea beaucoup ; car la faiblesse me délivra de ma colère, qui me faisait plus de mal que ma blessure. Je me couchai avec délices, et je crois que je n’ai jamais rien bu de plus agréable que le premier verre d’eau qu’on me donna.

M’étant mis au lit, la fièvre me prit. Ce fut alors que je commençai à verser des larmes. Ce que je ne pouvais concevoir, ce n’était pas qu’elle eût cessé de m’aimer, mais c’était qu’elle m’eût trompé. Je ne comprenais pas par quelle raison une femme qui n’est forcée ni par le devoir, ni par l’intérêt, peut mentir à un homme lorsqu’elle en aime un autre. Je demandais vingt fois par jour à Desgenais comment cela était possible. « Si j’étais son mari, disais-je, ou si je la payais, je concevrais qu’elle me trompât ; mais pourquoi, si elle ne m’aimait plus, ne pas me le dire ? pourquoi me tromper ? » Je ne concevais pas qu’on pût mentir en amour ; j’étais un enfant alors, et j’avoue qu’à présent je ne le comprends pas encore. Toutes les fois que je suis devenu amoureux d’une femme, je le lui ai dit, et toutes les fois que j’ai cessé d’aimer une femme, je le lui ai dit de même, avec la même sincérité, ayant toujours pensé que, sur ces sortes de choses, nous ne pouvons