Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/55

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mais son enfant s’attache à lui en pleurant. Voilà la famille, la loi humaine ; tout ce qui s’en écarte est monstrueux. Ce qui fait la vertu des campagnards, c’est que leurs femmes sont des machines à enfantement et à allaitement, comme ils sont, eux, des machines à labourage. Ils n’ont ni faux cheveux, ni lait virginal ; mais leurs amours n’ont pas la lèpre ; ils ne s’aperçoivent pas, dans leurs accouplements naïfs, qu’on a découvert l’Amérique. À défaut de sensualité, leurs femmes sont saines ; elles ont les mains calleuses, aussi leur cœur ne l’est-il pas.

« La civilisation fait le contraire de la nature. Dans nos villes et selon nos mœurs, la vierge faite pour courir au soleil, pour admirer les lutteurs nus, comme à Lacédémone, pour choisir, pour aimer, on l’enferme, on la verrouille ; cependant elle cache un roman sous son crucifix. Pâle et oisive, elle se corrompt devant son miroir, elle flétrit dans le silence des nuits cette beauté qui l’étouffe et qui a besoin du grand air. Puis tout d’un coup on la tire de là, ne sachant rien, n’aimant rien, désirant tout ; une vieille l’endoctrine, on lui chuchote un mot obscène à l’oreille, et on la jette dans le lit d’un inconnu qui la viole. Voilà le mariage, c’est-à-dire la famille civilisée. Et maintenant voilà cette pauvre fille qui fait un enfant ; voilà ses cheveux, son beau sein, son corps qui se flétrissent ; voilà qu’elle a perdu la beauté des amantes, et elle n’a point aimé ! Voilà qu’elle a conçu, voilà qu’elle a enfanté, et elle se demande pourquoi ; on lui apporte un enfant et on lui dit : Vous êtes mère. Elle répond : Je ne suis pas mère ; qu’on donne cet enfant à une femme qui ait du lait ; il n’y en a pas dans mes mamelles. Ce n’est pas ainsi que le lait vient aux femmes. Son mari lui répond qu’