Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/65

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donc qu’ils inventent ce qu’ils aperçoivent, et que leurs microscopes et leurs lunettes fassent la loi à la nature ? Que pensa donc le premier législateur des hommes, lorsque cherchant quelle devait être la première pierre de l’édifice social, irrité sans doute par quelque parleur importun, il frappa sur ses tables de marbre, et sentit crier dans ses entrailles la loi du talion ? avait-il donc inventé la justice ? Et celui qui le premier arracha de la terre le fruit planté par son voisin, et qui le mit sous son manteau, et qui s’enfuit en regardant çà et là, avait-il inventé la honte ? Et celui qui, ayant trouvé ce même voleur qui l’avait dépouillé du produit de son travail, lui pardonna le premier sa faute, et, au lieu de lever la main sur lui, lui dit : « Assieds-toi là et prends encore ceci » ; lorsque après avoir ainsi rendu le bien pour le mal, il releva la tête vers le ciel, et sentit son cœur tressaillir, et ses yeux se mouiller de larmes, et ses genoux fléchir jusqu’à terre, avait-il donc inventé la vertu ? Ô Dieu ! ô Dieu ! voilà une femme qui parle d’amour, et qui me trompe ; voilà un homme qui parle d’amitié, et qui me conseille de me distraire dans la débauche ; voilà une autre femme qui pleure, et qui veut me consoler avec les muscles de son jarret ; voilà une Bible qui parle de Dieu, et qui répond : « Peut-être ; tout cela est indifférent. »

Je me précipitai vers ma fenêtre ouverte. « Est-ce donc vrai que tu es vide ? criai-je en regardant un grand ciel pâle qui se déployait sur ma tête. Réponds, réponds ! Avant que je meure, me mettras-tu autre chose qu’un rêve entre ces deux bras que voici ? »

Un profond silence régnait sur la place que dominaient mes croisées. Comme je restais les bras étendus et les yeux perdus dans l’espace, une hirondelle poussa un