Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/75

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« Qui es-tu ? m’écriai-je tout d’un coup ; que me veux-tu ? d’où me connais-tu ? qui t’a dit d’essuyer mes larmes ? Est-ce ton métier que tu fais et crois-tu que je veuille de toi ? Je ne te toucherais pas seulement du bout du doigt. Que fais-tu là ? réponds. Est-ce de l’argent qu’il te faut ? Combien vends-tu cette pitié que tu as ? »

Je me levai et voulus sortir ; mais je sentis que je chancelais. En même temps mes yeux se troublèrent, une faiblesse mortelle s’empara de moi, et je tombai sur un escabeau.

« Vous souffrez, me dit cette fille en me prenant le bras ; vous avez bu comme un enfant que vous êtes, sans savoir ce que vous faisiez. Restez sur cette chaise et attendez qu’il passe un fiacre dans la rue ; vous me direz où demeure votre mère, et il vous mènera chez vous ; puisque vraiment, ajouta-t-elle en riant, puisque vraiment vous me trouvez laide. »

Comme elle parlait, je levai les yeux. Peut-être fut-ce l’ivresse qui me trompa ; je ne sais si j’avais mal vu jusqu’alors ou si je vis mal en ce moment ; mais je m’aperçus tout à coup que cette malheureuse portait sur son visage la ressemblance fatale de ma maîtresse. Je me sentis glacé à cette vue. Il y a un certain frisson qui prend l’homme aux cheveux ; les gens du peuple disent que c’est la mort qui vous passe sur la tête, mais ce n’était pas la mort qui passait sur la mienne.

C’était la maladie du siècle, ou plutôt cette fille l’était elle-même, et ce fut elle qui, sous ces traits pâles et moqueurs, avec cette voix enrouée, vint s’asseoir devant moi au fond du cabaret.