Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/82

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arrivé si, comme je le voulais, la créature se fût habillée à la hâte et aussitôt retirée. Sans doute le premier effet de la honte se serait calmé ; la tristesse n’est pas le désespoir, et Dieu les a unis comme des frères, afin que l’un ne nous laissât jamais seul avec l’autre. Une fois l’air de ma chambre vide de cette femme, mon cœur eût été soulagé. Il ne serait resté auprès de moi que le repentir, à qui l’ange du pardon céleste a défendu de tuer personne. Mais sans doute, du moins, j’étais guéri pour la vie ; la débauche était pour toujours chassée du seuil de ma porte, et je ne serais jamais revenu sur le sentiment d’horreur que sa première visite m’avait inspiré.

Mais il en arriva tout autrement. La lutte qui se faisait en moi, les réflexions poignantes qui m’accablaient, le dégoût, la crainte, la colère même (car je ressentais mille choses à la fois), toutes ces puissances fatales me clouaient sur mon fauteuil ; et tandis que j’étais ainsi en proie au plus dangereux délire, la créature, penchée devant le miroir, ne pensait qu’à ajuster de son mieux sa robe, et se coiffait en souriant le plus tranquillement du monde. Tout ce manège de coquetterie dura plus d’un quart d’heure, durant lequel j’avais presque fini par l’oublier. Enfin, à quelque bruit qu’elle fit, m’étant retourné avec impatience, je la priai de me laisser seul avec un accent de colère si marqué, qu’elle fut prête en un moment, et tourna le bouton de la porte en m’envoyant un baiser.

Au même instant on sonna à la porte extérieure. Je me levai précipitamment, et n’eus que le temps d’ouvrir à la créature un cabinet où elle se jeta. Desgenais entra presque aussitôt avec deux jeunes gens du voisinage.