Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/94

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J’avais rêvé à ces belles fringantes, à ces chérubins de l’enfer, à ces viveuses pleines de désinvolture, à qui les cavaliers du Décaméron présentent l’eau bénite au sortir de la messe. J’avais crayonné mille fois de ces têtes si poétiquement folles, si inventrices dans leur audace, de ces maîtresses têtes fêlées qui vous décochent tout un roman dans une œillade, et qui ne marchent dans la vie que par flots et par secousses, comme des sirènes ondoyantes. Je me souvenais de ces fées des Nouvelles Nouvelles, qui sont toujours grises d’amour, si elles n’en sont pas ivres. Je trouvai des écriveuses de lettres, des arrangeuses d’heures précises, qui ne savent que mentir à des inconnus, et enfouir leurs bassesses dans leur hypocrisie, et qui ne voient dans tout cela qu’à se donner et à oublier.

La première fois que je suis entré au jeu, j’avais entendu parler de flots d’or, de fortunes faites en un quart d’heure, et d’un seigneur de la cour d’Henri IV qui gagna sur une carte cent mille écus que lui coûtait son habit. Je trouvai un vestiaire où les ouvriers qui n’ont qu’une chemise louent un habit à vingt sous la soirée, des gendarmes assis à la porte, et des affamés jouant un morceau de pain contre un coup de pistolet.

La première fois que j’ai vu une assemblée quelconque, publique ou non, ouverte à quelqu’une des trente mille femmes qui ont, à Paris, permission de se vendre, j’avais entendu parler des Saturnales de tout temps, de toutes les orgies possibles, depuis Babylone jusqu’à Rome, depuis le temple de Priape jusqu’au Parc-aux-Cerfs, et j’avais toujours vu écrit au seuil de la porte un seul mot : Plaisir. Je n’ai trouvé non plus de ce temps-ci qu’un seul mot : Prostitution ; mais je l’y ai toujours