Page:Musset - Poésies, édition Nelson.djvu/61

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Cet air qu’en s’endormant Desdemona tremblante,
Posant sur son chevet son front chargé d’ennuis,
Comme un dernier sanglot, soupire au sein des nuits.
D’abord ses accents purs, empreints d’une tristesse
Qu’on ne peut définir, ne semblèrent montrer
Qu’une faible langueur, et cette douce ivresse
Où la bouche sourit et les yeux vont pleurer.
Ainsi qu’un voyageur couché dans sa nacelle,
Qui se laisse au hasard emporter au courant,
Qui ne sait si la rive est perfide ou fidèle,
Si le fleuve à la fin devient ’lac ou torrent;
Ainsi la jeune fille, écoutant sa pensée,
Sans crainte, sans effort,’ et par sa voix bercée,
Sur les flots enchantés du fleuve harmonieux
S’éloignait du rivage en regardant les cieux...
 
Quel charme elle exerçait! Comme tous les visages
S’animaient tout à coup d’un regard de ses yeux!
Car, hélas! que ce soit, la nuit dans les orages,
Un jeune rossignol pleurant au fond des bois,
Que ce soit l’archet d’or, la harpe éolienne,
Un céleste soupïr, une souffrance humaine,
Quel est l’homme, aux accents d’une mourante voix,
Qui, lorsque pour entendre il a baissé la tête,
Ne trouve dans son cœur même au sein d’une fête,
Quelque larme à verser, — quelque doux souvenir
Qui s’allait effacer et qu’il sent revenir?