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238 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sur des joues heureuses, car dans notre barque du Stern- bergersee, j'ai suivi sur les siennes à peu près cent cou- chers de soleil; toujours sous une projection de lune, d'allumette; dans l'ombre il se taisait, attendant un bec de gaz pour me répondre; souvent, de sa main droite, il battait un peu la clarté devant ses yeux, comme on essaye un bain...

L'Américain revenait et me tendait la feuille.

— Cher Jean, disait Pavel, quelle malchance ! Je ne poiurrai te voir. J'ai la jambe en mauvais état ; on m'em- barque demain à six heures pour Bourges, où l'on m'opère. Mais écris-moi, écrivons-nous, je te réponds...

Pavel avait de grands cheveux blonds qu'il gommait, et il semblait toujours, au bal ou au réfectoire, arriver d'une plongée. A chaque instant il secouait la tête, habi- tude du temps où ses cheveux étaient bouclés, mais c'était ses yeux seulement qu'il secouait, et un peu ses lèvres ourlées, et un tout petit peu son nez... relevé à peine. Ses jambes ? il les croisait sans cesse et frappait son genou pour en contrôler le réflexe ; jamais la jambe ne remuait; il n'y avait aucun réflexe en Pavel; il ne fermait pas les yeux si on le menaçait subitement du poing ; il ne s'écartait pas si on feignait de lui lancer une pierre ; il avait passé son enfance dans un palais, admiré de tous, et y avait pris la confiance d'un chat couché dans la vitrine d'un magasin ; il ne courait pas en voyant un accident ; il n'avait aucune pitié en voyant un pauvre, de haine en voyant un lâche, et quand ses amis aux trains partaient pour toujours, il les saluait par des gam- bades, comme s'ils arrivaient, tout triste...

Neuf heures avaient sonné ; la lune se levait, et tout ce

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