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NOTES 117

assez froid. De bonnes âmes furent bouleversées par une oeuvre toute dictée par le Malin, œuvre hétérodoxe et révoltante où les dogmes les plus rigoureux de l'Eglise sont mis en doute, où le respect dû aux parents est critiqué, où le convenable et le convenu sont pris l'un pour l'autre, où l'idéal est retourné comme un vieux gant parce qu'il plaît à l'auteur d'en examiner l'envers, où le héros même, qui vient de recevoir l'ordination, oublie toute pudeur au point d'assaillir et presque de trousser une jeune femme !... Il promettait pourtant : on l'avait baptisé avec de l'eau du Jourdain ! — Cette méchante histoire, les per- sonnes bien pensantes la vouaient aux flammes, tout de suite, comme une façon de la renvoyer à son auteur qui devait rôtir en enfer.

Littérairement, on accusa Butler d'être sec, de ne pas montrer, au cours de ce long récit, la moindre émotion, de se moquer trop assidûment et sans en avoir l'air, en un mot, de manquer de sensibilité. Si on l'entend comme Greuze et Loisa Puget, comme l'entendaient aussi les trois quarts de la littérature romanesque du temps de Butler, certes, la sensibilité fait défaut, mais le livre est gonflé d'une saine colère (nommez-là rancune, si vous voulez), qui n'a besoin ni de grands cris, ni de grandes phrases, ni de gros mots ; il est tout frémissant d'un bel amour du beau sans édits qui le limitent, du vrai sans fard qui le défi- gure, du bien sans pharisiens qui le réglementent... et il semble que ce soit suffisant pour animer une œuvre.

Peu à peu, la curiosité, l'intérêt, l'admiration naquirent. Ceux qui ne connaissaient que Samuel Butler, l'auteur de Hiidi- hras (1612-1680), s'aperçurent que son homonyme avait quelque talent aussi, et une page pleine d'indignation de Ber- nard Shaw, dans sa préface à Major Barbara fut une réclame écoutée. — Butler était mort... qu'importe! ne disait-il pas : « La vie que nous vivons au-delà de la tombe est la plus vraie » ? et ne s'était-il pas accordé à lui-même soixante-dix ans d'immor- talité ? Car Samuel Butler avait toujours eu confiance dans la mort, une noble confiance qu'il exprimait, le 24 août 1898, quatre ans avant de mourir, par le sonnet que voici :

A7 sur la triste rive stygieiine, ni dans la splendeur

De la lointaine plaine élysée, nous ne renconti-erous ccv.x-là ,

Parmi les morts, dont nous fûmes les disciples.

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