Page:NRF 17.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ï62 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

saient sur les pentes et des torrents de boue enflaient dans tous les plis du sol.

Nous nous étions remis en marche, désireux de gagner au pied, et jamais pluie ne nous parut plus rafraîchissante et plus douce, bien qu'elle entravât notre course et nous transperçât jusqu'aux os.

— Quelle aventure ! criait Thierry. Ce Kampitsch sera une des grandes déceptions de mon existence.

— L'orage, affirmait Gaspard, nous a sauvés après avoii; failli nous perdre : à la faveur de certaine tension élec- trique, l'âme...

Mais Neek grommelait en manière de conclusion :

— Quelque température qu'il fasse, à l'avenir, je saluerai les processions.

Le Biel, comnae de coutume, passait sa rage sur le très misérable Raphaël.

— Voilà, disait-il, une salutaire leçon pour les godelu- reaux qui font l'amour aux femmes sauvages.

Quant à moi, tout occupé de nouer sur ma tête un mouchoir de coton rouge, je ne disais rien : je pen- sais à ces passions primitives qui, semblables à de grands fauves traqués, se sont retirées au fond des solitudes, mais n'attendent, pour en sortir, qu'une défaillance du monde, un moment d'angoisse, une heure d'orage.

Nous marchâmes longtemps. La pluie avait cessé que nous allions toujours, à toute vitesse, sans nous retourner, à travers un paysage bouleversé comme un visage après les larmes.

A la chute du jour, nous nous jugeâmes hors de danger. Une auberge solitaire nous offrit des Uts, de la nourriture et un grand feu de bûches pour sécher nos habits.

Nous n'avions guère plus de vingt ans, les uns et les autres ; un grand besoin de joie survivait, en nous, à toute mésaventure et, ce soir-là, le parti de la bière et le parti du vin blanc se livrèrent une bataille formidable mais indécise. Je ne vous la raconterai pas, car j'ai déjà perdu beaucoup

�� �