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22é LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

laire admiratif aurait vraiment besoin d'être enrichi, afin d'éviter qu'on use des mêmes mots pour qualifier l'œuvre des artistes les plus différents, et que les médiocres et les grands demeurent confondus dans les mêmes applaudissements.

Une nuance, cependant, aidait l'observateur à hiérarchiser les propos ; cette nuance résidait dans l'intonation sur laquelle se décernaient les éloges. L'amour qu'on affichait pour Ingres, malgré l'extase peinte sur les visages, avait quelque chose d'un peu forcé, d'un peu de commande ; il s'y glissait comme l'ombre d'un repentir. Devant « le divin Frago » l'admiration était spontanée, débordante, sans réserves.

Comment en serait-il autrement ? L'art de Ingres, discret, délimité de partout, sans fissures, est semblable à ces chambres secrètes des Mille et une nuits, cachant les richesses dont elles sont remplies derrière une porte ne s'ouvrant que si l'on appuie sur un point caché. Celui de Fragonard, tout extérieur, en surface, n'exige au contraire aucun effort pour être pénétré. Son œuvre ne contient aucun mystère et n'est par rien défendue contre l'indiscrétion fugitive du spectateur.

Je suis trop ennemi du solennel ennui, cultivé par quelques « modernes », pour désirer que le charme soit banni de la pro- duction artistique. C'est une leçon d'amabilité que j'ai été demander à Fragonard, et j'avoue sans honte avoir goûté, au contact de son œuvre légère, de ces joies coupables que condamne certain réformisme para-cubiste. Il ne peut pas être question de bannir même l'érotisme du domaine de l'art. Ceux qui pensent à juste raison que compte surtout, dans une œuvre, le plaisir technique devraient être les premiers à adopter les sujets frivoles. L'évaluation de la distance qui sépare le tableau (ou point d'arrivée) du sujet (ou point de départ) constitue l'essentiel de ce plaisir. Pourquoi donc le choix d'un sujet « bas » ou compliqué impliquerait-il bassesse et complication dans l'œuvre ? La seule question est de savoir si l'artiste est capable de porter ce sujet à une certaine hauteur. La méditation cubiste a eu pour but, j'ai essayé de le démontrer, de réapprendre la pureté des moyens logiques : un artiste en possession de ces moyens doit, naturellement et sans effort, pouvoir enfermer en des linéaments purs le sujet le plus grossier. L'essentiel du travail artistique est la volonté de transposition : n'y aurait-il

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