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284 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ment (comme du bouillonnement de la source et du calme de l'estuaire) que les œuvres d'Ingres, ses portraits sur- tout, nous font parcourir les plus grandes étendues de la sensibilité humaine et nous proposent des modèles que nous ne saurions trop étudier.

J'avoue que je ne puis, en aucune façon, me sentir d'accord avec M. Roger Allard quand il voit en Delacroix le maître le plus apte à orienter aujourd'hui les jeunes peintres vers le salut. Comment Delacroix, dont je repar- lerai à propos du Louvre, pourrait-il nous enseigner la règle, sans laquelle il n'est pas de licence possible, puisqu'il est la licence tout court, la liberté sans frein, l'explosion ? Loin d'évoquer cette accalmie magnifique que réalise l'œuvre d'Ingres, son œuvre est l'orage même, avec tous ses effets brutaux et toutes ses syn- thèses rapides. Elle est l'exception : on l'admet, on l'admire quelquefois, mais on ne l'érigé pas en principe. Ses procédés sont les plus périmés qui soient ; la preuve en est que, mal- gré son génie indéniable, il demeure toujours inférieur aux maîtres dont il a emprunté les modes d'expression : Tin- toret, Véronèse, Rubens. Ceux-ci, Titans d'une autre race, exprimaient les objets de mémoire : il faut une puissance presque divine pour atteindre au lyrisme en travaillant uniquement par la co7inatssance. Ingres, tout comme Dela- croix, eût échoué dans cette entreprise. Ses dessins exé- cutés sans modèle montrent la pauvreté de son « imagi- nation » ; son génie, comportant toutes les tares dont nous sommes héréditairement atteints, est d'avoir adopté un système de travail en accord avec son tempérament, et c'est une raison de plus pour que sa leçon nous paraisse exemplaire. A l'encontre de Delacroix, s'il choisit Raphaël comme maître, c'est, plutôt qu'un modèle, un excitant qu'il recherche. Ses procédés de travail, nous l'avons vu, sont absolument différents de ceux du peintre de la For- narina, et, s'il évoque, par la pureté toute géométrique des contours, le grand Italien, c'est pour mieux nous faire

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