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3l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAiSE

Et cependant plus le temps passe et plus il me semble impossible de renvoyer Koro Suba. Si je le renvoyais, je ne reproduirais pas les précédents congés, où je me privais, au bénéfice des anciens élèves, de la joie d'explorer des êtres nouveaux. Je n'aurais plus le mérite du sacrifice. J'éprou- verais la honte d'expu.lser grossièrement Koro Suba parce qu'il me répugne.

Il est affreusement laid et triste. Petit, gros de corps et de traits, marqué de la petite vérole, édenté, il transpire en pluie d'orage dès que je lui parle, car sa laideur l'a rendu craintif. J'appréhende si fort de le voir se précipiter sous la table pour se cacher, comme un crapaud, si .je critique sa venue, que je me décide à l'installer en pariait contraste auprès du bel Inahilé, son parent, toujours ûgé dans son étrange expectative.

Je suis allée prendre dans la bibliothèque un exemplaire du premier livret de la méthode Machuel pour le donner au nouvel élève, puis j'ai dû le quitter pour aller fournir à d'autres quelques éclaircissements grammaticaux. Quand je reviens auprès de lui, je trouve son parent occupé à le faire lire. Je relève Inahilé de ses fonctions auprès du monstre et je constate vite que celui-ci ne manque ni d'intelligence, ni de vivacité, ni de mémoire, ni d'aucun moyen, malgré que ses préoccupations intellectuelles se doublent de celles, physiques et pressantes, d'empêcher les gouttes de sa sueur d'inonder le livre neuf.

— Situ travailles toujours aussi bien, luidis-je, tu rattra- peras bientôt ton cousin Inahilé, surtout si sa plume ne court jamais plus vite qu'aujourd'hui.

J'ai prétendu dire cela en riant et Inahilé est trop poh pour me démentir. Il s'efforce de rire un peu aussi. Il s'in- cline même imperceptiblement pour regarder sa page et sa plume d'un œil très doux et je m'imagine qu'il va écrire ; mais l'instant d'après, il s'est redressé et il a repris sa pose extatique pour jusqu'à la fin du cours.

La sortie de mes élèves noirs n'est jamais très précipitée.

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