Page:NRF 17.djvu/341

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE ^^)

fille, non d'une couventine, mais d'une lycéenne. (Avez-vous remarqué que depuis vingt ans la lycéenne a évincé de la litté- rature la couventine, alors que l'adolescent des romans est resté le pensionnaire des établissements religieux ?) Suzanne est une sœur de Claudine. Mais les aventures de Claudine ne la mènent qu'à Paris, tandis que Suzanne gagne le voyage autour du monde otïert par le Sydney Daily à la première de son concours la meilleure maxime sur l'ennui, et au cours de ce voyage est jetée sur une île déserte, ou plutôt dans une île individuelle, faite à sa mesure, qui n'est peuplée que par elle, mais est toute peuplée d'elle.

M. Giraudoux a une vision originale des choses et surtout des rapports entre les choses. Et comme les choses ne sont que dans leurs rapports réciproques, cela revient au même. Quand on entre chez lui, il faut taire comme un wagon du Sud- Express qui en arrivant en Espagne doit modifier l'écarte- ment de ses roues. Il faut s'adapter à de nouvelles images. Rien d'ailleurs de plus agréable et de plus facile. Suianne remet tout cela au point en transportant ce monde dans une île, en symbo- lisant sur une figure de jeune fille l'imagination de M. Girau- doux. Il y a dans cette île le rocher Claudel et le rocher Rim- baud. Aujourd'hui l'île Giraudoux nous semble un monde bizarre. Mais n'oublions pas que ce genre d'image géographique fut appliqué pour la première fois par Sainte-Beuve à Baude- laire dont l'œuvre était pour lui un Kamchatka littéraire. Aujourd'hui ce Kamchatka est devenu pour nous un Bougival. Dans cinquante ans on ira peut-être à l'île Giraudoux comme à la Grande-Jatte.

On s'étonne parfois de voir M. Giraudoux voir et sentir ainsi ; on se demande comment il peut être Persan, — je veux dire de l'île Suzanne. Il doit, lui, trouver bien singulier un monde où tout le monde n'en est pas, ou plutôt un monde oii chacun n'a pas son île. Ce livre qui a paru si bizarre à tant de lecteurs de la Revue de Paris, j'imagine une humanité oià il représenterait le seul mode de littérature possible. Dans ce monde, faire de la littérature, écrire, ce serait mettre au jour son île, dire son île, la direinsulairement, avec les créations qui lui sont propres, ses epyornix, sesmoas, ses ornithorynques. — Mais je n'ai pas d'île. — Alors n'écrivez pas. Dans ce monde

�� �