Page:NRF 17.djvu/383

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 377

répondre aux objections qu'on lui fait, il n'en peut pas tirer un enseignement, car elles sont vulgaires et sans solidité. Pourtant il progresse. Dans notre théâtre même une personnalité vient de se révéler.

Eugène O'Neill était depuis plusieurs années le héros de nos « petits théâtres », en particulier des « Acteurs de Provin- cetown », lesquels jouent, dans une ruelle du quartier latin à New- York, des pièces de leur crû avec une verve et un entrain qui ne s'appuient ni sur la science dramatique ni sur un instinct très sûr. Le temps pourtant leur a donné raison puisqu'ils ont abrité O'Neill, jusqu'au jour où O'Neill les a dépassés. A la saison dernière, timidement, O'Neill a franchi l'échelon qui le séparait de Broadway : quelques matinées de son drame Par delà l'hori\on furent bientôt suivies d'une série de représenta- tions ; puis quand la pièce eut fait courir tout New- York, des tournées la portèrent dans la province. C'est un drame plein de lyrisme, traité comme une tragédie, brossé par grandes tou- ches claires et lumineuses ; il est romantique par la façon, très lâche, dont l'auteur le conçoit, et par les aspirations, très vagues, du héros. Ce héros est un fermier de la Nouvelle-Angle- terre, attelé à une travailleuse opiniâtre, et qui rêvasse de riva- ges tropicaux, de typhons sur les mers de Chine, et néglige ses terres. La critique, bien entendu, saluant dans cette pièce une tragédie, l'a comprise tout à rebours. Elle venait de découvrir Ibsen, l'an passé ; elle en conclut qu'O'Neill avait voulu écrire un drame ibsénien. Elle mesura la pièce américaine, construite dans un plan horizontal, d'après les lois de lacomposition Scan- dinave, qui va droit à la catastrophe.

Cette année-ci, O'Neill nous a donné deux pièces. L'une est une idylle effrayante et fantastique, intitulée L'Empereur Jones. Le héros est encore un poète qui a la nostalgie des horizons loin- tains ; c'est un nègre d'Amérique, un employé des wagons-lits, une espèce de flibustier qui acquiert auprès de sauvages d'une île caraïbe un prestige assez mal assis. Dans une série de scènes extrêmement alertes, la pièce suit le travail rongeur que font, dans cette force impériale, les antiques terreurs et superstitions nègres.

La seconde pièce Quelque chose d'autre, qui n'est pas un drame rapide et serré, dit l'échec amer d'une jeune fille, née dans un

�� �