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LES IDÉES ET LES AGES . 4^9

et se moquent du reste ; les choses ne leur jouent pas de tours. Mais le paysan est plus craintif; il ne peut compter sur lui-même qu'en considérant une longue suite d'années, ce que l'épargne et l'achat de nouveaux champs rend sen- sible. Et les saisons, dont il dépend, forment en lui l'espé- rance et la crainte. En même temps, l'incertitude et les malices du temps font qu'il est prudent, et ne veut jamais être jugé sur ce qu'il tient. Ainsi le besoin de vendre, et aussi d'obtenir du temps pour payer, le font dépendant à l'égard des autres. Et l'habitude qu'il a prise de s'assurer dans les bonnes années contre les mauvaises le rend prévoyant et discret ; il ne répond jamais de rien ; au lieu que le prolétaire a confiance en lui-même, dès qu'il sait bien un métier difficile. Aussi n'y a-t-il rien de mystique dans le prolétaire ; mais dans le paysan, au contraire, le sentiment de forces invincibles, et dont l'effet est impré- visible, ne fait que se fortifier par l'expérience, et c'est ce genre de superstition qui conserve la politesse campagnarde, toujours religieuse, et donc p'us égale et plus noble que celle de l'avocat et du marchand, qui n'est qu'une marchan- dise.

Dans le prolétariat on trouvera sans peine des degrés aussi, d'après les mêmes causes. Car le manœuvre, qui n'a que sa force de travail, dépend plus des hommes que l'ouvrier habile. Le jardinier a le souci de plaire ; l'ouvrier de village aussi, qui est en même temps marchand, et qui compte, dans son art, l'art de persuader et au besoin de tromper. Même l'ouvrier qui travaille sous les ordres du patron participe en cela à la bourgeoisie ; il garde quelque chose de la précaution du commerçant. Le vrai prolétaire est celui qui, appuyé sur un métier difficile, ne compte qu'avec un surveillant souvent moins habile que lui, et prolétaire comme lui ; les produits décident alors de tout. L'employé, qui est toujours moins payé que l'ouvrier, est pourtant bourgeois, par le souci de plaire à son chef et de plaire à l'acheteur. Souvent une entreprise prospère par les

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