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boulet chanter en ricochant en avant de lui et puis — au loin — fracasser les branches dans la forêt.

« Ils ne recommenceront pas, pensa-t-il ; la prochaine fois ils tireront à mitraille. Il faut que j’aie l’œil sur le canon ; la fumée m’avertira — la détonation arrive trop tard ; elle traîne derrière le projectile. C’est un bon canon. »

Soudain, il se sentit tourner, tourner en rond, tourner comme une toupie. L’eau, les rives, les forêts, le pont, le fort, les hommes — maintenant éloignés — tout se mêlait et s’estompait. Les objets n’étaient plus représentés que par leurs couleurs ; des raies horizontales de couleur — voilà tout ce qu’il voyait. Il avait été pris dans un remous qui le faisait avancer en tournoyant dans une giration qui lui donnait le vertige et le rendait affreusement malade. Quelques instants plus tard, il était projeté sur le gravier au pied de la rive sud du cours d’eau, derrière un promontoire qui le cachait à ses bourreaux. Le brusque arrêt de mouvement, les écorchures d’une de ses mains sur les cailloux, lui rendirent les sens et il pleura de joie. Il plongea ses mains dans le sable, en jeta sur lui-même à poignées et il bénissait ce sable à voix haute. Il lui semblait composé de diamants, de rubis, d’émeraudes ; il n’imaginait rien de plus beau. Les arbres de la forêt lui apparaissaient comme de gigantesques plantes de jardin ; il crut remarquer un ordre défini dans leur alignement, il aspira leur parfum. Une étrange lumière rosée luisait dans les intervalles des troncs et le vent faisait dans les branches une musique de harpes éoliennes. Il n’avait plus aucun désir de continuer sa fuite ; il demeurerait dans ce coin enchanté, jusqu’à ce qu’on le reprît.

Un sifflement, un râle de mitraille dans les hautes branches au-dessus de sa tête, le tirèrent de son rêve. Déconcerté, le canonnier lui jetait un adieu au jugé. Il bondit sur ses pieds, gravit l’escarpement et plongea dans la forêt.

Toute la journée il voyagea, se guidant dans sa course sur l’arc de cercle que traçait le soleil. La forêt paraissait