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NOTES 99

obscure qui pâlit sur le papier, le public n'a jamais que le quart ou la moitié de la poésie que nos poètes ont dans leur génie ; ils gardent toujours, quoique malgré eux, une bonne partie de leur secret. »

Qu'on veuille bien excuser cette longue citation en faveur de la clarté dans laquelle le problème qui nous occupe se trouve placé. Au fond, avec mille nuances délicates, avec les images les plus heureuses, et surtout l'accent émouvant de l'expérience personnelle, M. Paul Valéry, dans la première partie de son discours ne dit guère autre chose que cela.

Il s'agit maintenant de déterminer le mode d'expression. Malgré toutes les précautions oratoires et tout le soin qu'il prend de ne pas heurter ceux qui réduisent les règles prosodi- ques « à l'observance des lois naturelles de l'âme et de l'ouïe », M. Valéry décide en faveur des règles anciennes. Son choix, à ce qu'il paraît, ne s'est pas fixé par caprice : ce fut mariage de raison ; la passion n'est venue qu'après comme une grâce méri- tée. Nos pères estimaient fort, dit-on, de telles alliances, et fondaient volontiers des espoirs sur les fruits d'aussi sages amours. M. Valéry fait du reste la part belle à « lu liberté ». Elle est si séduisante, concède-t-il ; « elle l'est particulièrement pour les poètes. » Au vrai, la liberté prosodique flatte surtout leur vanité, chacun étant assez enclins à faire « de son oreille et de son coeur un diapason et une horloge universels », à ne suivre d'autres lois que celles qu'il déduit de ses propres erre- ments.

Observons toutefois que l'anarchie prosodique a peu d'adeptes déclarés. Tout poète se flatte d'obéir à des lois, des lois faites à son usage, sur mesure, mais enfin des lois. Nul ne se fait gloire d'être un fol ou un insouciant, tout de même que les peintres, après avoir oublié, négligé ou rejeté toutes les règles com.munes, s'évertuent à la recherche de nouvelles disciplines !

Mais M. Valéry, s'adressant aux partisans de cette prétendue liberté, ne songe qu'aux poètes. Avec une ironie secrète, qui a bien du charme, il vise au point sensible et feint de s'intéresser à leur gloire. Ne risquent-ils pas, en inventant une règle qui leur soit personnelle, « d'être mal entendus, mal lus, mal décla- més » ? Aussi tâche-t-il à leur montrer l'avantage de l'ancienne prosodie dont l'arbitraire, à son avis, n'est pas plus grand que

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