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CHRONIQUE DRAMATIQUE

��J'étais à flâner dans mon cabinet, en compagnie de quel- ques-uns de mes chats, quand la bonne ouvrit la porte, et je vis entrer mon vieil ami, l'amateur de théâtre, que j'avais presque oublié, depuis des années que je ne l'ai pas vu. C'était bien lui, toujours habillé à la mode de sa jeunesse, avec son visage hardi, un peu plus fané par l'âge, ses yeux bruns restés très vifs, sa bouche aux lèvres serrées, où. la malice et l'éloquence s'expri- ment avant qu'il parle. Je l'ai connu voilà bien longtemps, quand je fréquentais avec assiduité la Comédie française. Il était là comme chez lui, allant de la salle au foyer des artistes, connu de tous et bavardant avec tous. Quel âge peut-il bien avoir ? On ne saurait le dire. Quelquefois, il laisse pousser sa barbe, elle est toute blanche, et alors le vieillard apparaît. Mais le plus souvent, proprement rasé, toujours mince et droit, et alerte, il fait illusion. Qu'a-t-il fait au juste dans sa vie ? Toutes sortes de choses ! Il a certainement dû jouer la comédie dans sa jeu- nesse, car il a dans toute sa personne quelque chose de la fan- taisie, de la pose et de l'allure dégagée de l'acteur. Il a dû écrire aussi, car il paraît savoir beaucoup de choses et je crois bien avoir entendu dire qu'il s'est mêlé un jour d'ajouter quel- ques paragraphes au Paradoxe de Diderot sur le Comédien. Je l'écoutais souvent causer avec mon père, quand j'étais enfant, et il m'émerveillait par l'entrain de ses paroles, qu'il lançait comme s'il les eût adressées à un nombreux auditoire, par l'animation de sa physionomie, sur laquelle se peignaient tou- tes les expressions de ses discours, par ses gestes à la fois étu- diés et naturels, comme s'il se fût trouvé sur la scène. Je ne lui ai jamais connu de femme ni d'enfants et je n'ai jamais su non plus où il logeait. Sans doute, quand il a fini de se montrer, se

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