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LE TRIPTYQUE DE M. ABEL HERMANT 263

en grand nombre des terribles épreuves auxquelles ils étaient promis. La haine de la pure raison est assez explicable chez ceux qui sentent venir l'heure de se battre et de mourir et le cri de guerre poussé contre l'esprit critique, bien avant 1914, par les Péguy, les Psichari, les Paul Drouot, prend un sens aujourd'hui singulièrement tragique. M. Abel Hermant pourra toutefois me répondre que les héros de Denain et de Fontenoy (dont la race n'est d'ailleurs pas éteinte) n'eurent pas besoin de maudire la raison pour savoir mourir.

Les deux générations dont il s'agit ici me semblent un fulgurant exemple de cette loi que Renan croyait discerner à travers l'histoire, selon laquelle le haut degré d'intellectualité d'une époque se paye d'une assez faible moralité, cependant qu'une haute tenue morale a pour rançon un pauvre étiage intellectuel. La génération de Philippe, placée dans des conditions exceptionnellement favorables à la culture de l'esprit (songez que pendant quinze ans, de 1890 à 1905, elle a pu croire — à faux, mais il n'importe — à la fin des grandes guerres ; songez, du point de vue social, économique, à la tranquillité relative de cette période) aura été particulièrement éprise de savoir et de beauté en même temps qu'assez peu étreinte par la préoccupation des problèmes de la raison pratique ; elle s'est définie dans son culte pour Anatole France ; la suivante, prise dans des difficultés de toute sorte [1] et de plus en plus angoissantes et résolue d'y faire face, se sera montrée, en sa plus grande

  1. I . On aimerait que Rex — cela marquerait encore le contraste de sa génération avec la précédente, du moins dans la classe bourgeoise — connût, ou du moins entrevît, des préoccupations d'ordre pécuniaire dont ses parents furent affranchis. Toutefois M. Abel Hermant nous semble se rattacher à la grande tradition du roman français en nous entretenant assez peu de la condition économique de ses héros. Je ne peux oublier que, si je veux des développements sur cet ordre de choses en ces trois derniers siècles, il me faut lire, non pas des patriciens du genre comme Mme de Lafayette, Marivaux ou Stendhal, mais des artisans, comme Furetière, Lesage ou Balzac.