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CHRONIQUE DRAMATIQUE

voir des « actrices », au milieu d’un public composé d’hommes spirituels et de jolies femmes. Bonnes gens, ne m’enviez pas tant que cela. Les pièces qu’on joue ne sont pas drôles, en plus qu’elles se resssemblent toutes terriblement. Les acteurs de talent sont si bien convaincus qu’ils en ont et y tiennent tellement qu’ils se gardent bien d’y apporter la moindre variété. La plupart des spectateurs ont des visages d’épiciers enrichis et, à entendre leurs réflexions, sont bêtes comme leurs pieds. Les jolies femmes sont rares, ou, quand on en rencontre, elles sont à d’autres. C'est plutôt à moi de vous envier, dans vos veillées paisibles, au milieu d’une petite ville ou d’une petite bourgade. Vous lisez un journal, ou une revue. Vous lisez qu’on a joué, dans tel théâtre, telle pièce, de tel auteur. Vous vous représentez la scène, la salle, les lumières, les entr’actes, les toilettes, les applaudissements, les rappels, les artistes venant saluer, enfin tout ce qui compose une soirée de théâtre à Paris. Tout est pour vous merveilleux, transportant, paradisiaque. Oui, oui, c’est bien plutôt à moi de vous envier. J’aurais tant de plaisir, ce soir, à aller flâner rue de Richelieu, et dans les petites rues avoisinantes : rue de Louvois, rue Chabanais, rue Rameau, rue Chérubini, rue Lulli. Cest un quartier qui me plaît beaucoup, dont l’air et le ton m’enchantent, qui est plein de choses pour moi, si changé qu’en soit déjà l’aspect en certaines parties. J’irais prendre une bavaroise chez le glacier du Passage Choiseul, en face de la sommeillante librairie Lemerre. Je pousserais jusqu’à la rue du Hanovre, en souvenir de H. B., quand il souhaitait avoir dans cette rue, au quatrième étage, un petit salon bien chaud où faire la conversation de sept à huit le soir avec quelques amis sans préjugés et sans gravité. Je rentrerais ensuite, l’esprit occupé de ces choses lointaines et délicieuses. Je m’arrêterais une minute, comme si j’allais encore entrer, à !a porte de la Comédie, où j’allais presque chaque soir, vers onze heures, finir ma soirée, quand j’étais plus jeune. Que de souvenirs aussi je retrouverais là, dans ces couloirs, dans ce foyer des artistes, où l’on a tout refait et modifié, d’ailleurs, et qui n’ont plus rien de l’aspect démodé et charmant que je leur ai connu. Au lieu de cela, je suis enfermé, condamné à la tâche, et il me faut écrire des comptes- rendus de théâtre ! Mon chat Riquet, un être exquis d’intelli-