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sujet du premier récit. Le deuxième récit vient compléter le premier et le troisième éclairer les précédents. L’une et l’autre des deux premières thèses seraient successivement justifiées si on s’arrêtait à l’un et à l’autre des deux premiers récits. Mais précisément elle ne serait justifiée que parce qu’on se serait arrêté. Cette justification ne serait faite que de notre ignorance. C’est le troisième qui conclut, ou tout au moins son récit se confond avec cette conclusion. Et on conçoit fort bien, et même on doit concevoir une suite indéfinie de récits dont chacun apporterait un éclairage nouveau et impliquerait peut-être une autre réponse. Mais il fallait que l’auteur construisît, se bornât et pût paraître conclure. La conclusion est formulée par un prêtre, comme dans les romans de M. Bourget, et d’ailleurs on peut imaginer ce roman construit sur le type de ceux de M. Bourget ; on le voit, par exemple, suivant le cours et le rythme de l’Echéance, et recevant le titre de Drame de Famille. (En comparant les deux techniques, précisément curieuses des mêmes sujets, on se rendra fort bien compte de ce qu’il y a de plus populaire, et d’un peu périmé, dans celle que M. Bourget a héritée de Balzac.) Cette conclusion n’est autre que la conclusion chrétienne : la voie douloureuse est une voie. L’abbé Manchon en donne pour signe ceci : la souffrance détache ; en détachant l’homme de la terre elle l’allège, le rend comme fluide et mobile le long de la route où la mort le fait disparaître de notre horizon sans qu’il cesse d’aller.

Je contesterai d’autant moins cette conclusion qu’un livre sur la souffrance, une réflexion sur la souffrance ne sauraient guère en comporter d’autre. Réfléchir sur la souffrance, c’est déjà la dominer, c’est déjà chercher à l’utiliser. Et si le plaisir sert à nous attacher à la vie, à nous la faire vivre et à nous la faire transmettre, la douleur ne saurait être utilisée que pour nous détacher de la vie. Et nous savons bien que sans ce détachement la société humaine ramperait misérablement, et que l’individu ne garderait qu’une valeur médiocre. Mais quelle que soit la vérité d’une telle conclusion, ce n’est ni cette vérité ni cette conclusion qui nous intéressent dans ce roman. C’est le roman. Et celui de M. Estaunié pouvait se passer de sa conclusion sans cesser d’être le roman de la douleur, et sans que rien à peu près fût diminué de son art ni de son artifice.