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474 LA. NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qu'il s'en aperçoive certainement, personne n'ayant jamais eu moins d'esprit ni de sens du comique. Comme Molière était à l'or- dre du jour, il a voulu dire son mot sur lui, et cela a été pour le ranger dans un parti politique, le sien, naturellement, et voilà Molière, deux cent cinquante ans après sa mort, posé en écri- vain de droite, en penseur orthodoxe, en soutien de la royauté, en écrivain politique, pour tout dire. Il faut lire cet article de V Illustration dans lequel M. Paul Bourget arrange si bien la vérité, avec ce style qui singe la profondeur et n'est que vague et prétention. On verra jusqu'à quel point peut aller la sot- tise d'un écrivain dogmatique, systématique et pédant, incapable de juger et apprécier une œuvre littéraire pour sa valeur et son intérêt propres, en dehors de toute question de politique, et n'hésitant pas à tout fausser dans l'intérêt de sa thèse. Sa niai- serie éclate quand on le voit, dans cet article, pour caractériser, selon lui, le génie de Molière, faire intervenir les Allemands, les Hohenzollern, la guerre de 19 14, apparenter le grand comi- que aux paysans français qui moururent pendant cette guerre et le transformer, lui aussi, en « héros » et en « bon serviteur du pays ». Personne autre que M. Paul Bourget ne pouvait, à propos de Molière, avoir cette trouvaille et pour une fois il aura inventé quelque chose. Ce n'est pas la première fois qu'il s'amuse à ce jeu de dénaturer complètement la personne et l'esprit d'un écrivain. Il s'y est déjà livré pour Stendhal, lors de l'inauguration du monument dans le jardin du Luxembourg, quand il a prétendu nous le montrer comme un héros du patrio- tisme et un précurseur des soldats de 19 14. Là encore l'inven- tion n'était pas mince. Stendhal, cet épicurien, ce dilettante, cet « européen », qui plaçait la patrie là où il avait trouvé les plus vifs plaisirs, qui reniait tant de nos façons françaises, qui n'avait vu et célébré dans la guerre qu'une aventure comme une autre, qui n'y a porté qu'une passion de curiosité et n'a cessé de témoigner de son mépris pour les « manches à sabres qui com- posent une armée » ! Je m'attendais d'ailleurs, pour ma part, à cette comédie. Outre que je trouve qu'on abuse avec cette manie des monuments qu'on a aujourd'hui, que je trouve que Sten- dhal a le sien, et qui lui convient, sur sa tombe, qu'une copie du médaillon de David d'Angers par Rodin, qui n'a fait que le déformer, n'avait rien à faire au Luxembourg, dans un quartier

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