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bientôt tous les trois au lycée. Soyez sans crainte : il ne vous a pas vendu, mais à cet âge, on a le bonheur insolent.

— Ce bonheur, interrompt Vernois, c’est ma seule préoccupation.

Elle crie :

— Non, non, non ! Ne croyez pas cacher vos manigances. Votre persécution est flatteuse, car je ne pensais pas être un témoin avec lequel il fallût prendre tant de précautions. Est-ce elle que je gêne dans l’aveu de ses sentiments ou vous dans vos assiduités ? Depuis quatre jours que vous la voyez tous les après-midis…

Il lui coupe la parole par un si violent ordre de se taire qu’elle recule d’un pas sur le gazon mouillé.

— Voilà bien votre imagination de femme ! Je ne me pardonnerais pas de vous répondre !

Le mépris la redresse ; elle dit entre ses dents :

— Les faits parlent à votre place.

— Vraiment ? Est-ce qu’on fait la cour à une femme en allant réveiller le souvenir de son mari ? Pourquoi suis-je venu sinon pour défendre la mémoire d’un camarade ?

— J’ignore si Don Quichotte lui-même…

Le mot le pique au vif.

— Pensez de moi ce que vous voudrez, mais je vous défends d’y mêler en rien Mme Heuland.

Du moment qu’il discute, Mlle Gassin n’a plus peur.

— J’aimerais mieux une autre vie, je vous assure, que de l’observer du matin au soir. Mon métier m’a placée près d’elle et non le goût de l’espionnage. J’entends ce qu’à table elle nous rapporte de vos entretiens, je vois l’attente où elle est de vos visites.

— Elle m’attend, pourquoi ? Parce que je lui ai raconté quelques anecdotes où certaines qualités d’Heuland se faisaient voir ; parce que j’ai tâché de lui montrer sous son vrai jour un esprit qu’autour d’elle on a toujours