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s’installait dans son grand fauteuil de tapisserie, nous à ses pieds, et il commençait à lire avec une emphase qui vous aurait peut-être parue tout à fait comique, mais qui nous transportait dans un monde merveilleux. Je crois que cette façon de déclamer les vers remontait à la plus vieille tradition ; en tout cas nous n’avons jamais pu prendre plaisir à les entendre lire différemment et un jour qu’on nous a conduites au théâtre, nous avons pleuré de déception… Eh bien, ce qui se passe dans ces tragédies c’est toujours la même chose. L’héroïne ou le héros triomphent de leur faiblesse. Ils disent du moins qu’ils en triomphent et leur vaillance dure juste assez de temps pour qu’ils prennent une décision irrévocable. Après, que se passera-t-il ? Une femme qui, par devoir, a repoussé un grand amour ne peut pas échapper à des pensées troubles, inavouables même, à des élancements de regret. Mais là-dessus on lui doit le silence ; on ferme le livre. Sa victoire subsiste seule ; on ne peut plus l’en dépouiller ; c’est sur sa victoire qu’elle sera jugée. En tout cas c’est ainsi que nous jugions à Follebarbe ; et vous ne sauriez croire à quel point, là-bas, il semble naturel de faire crédit à l’héroïsme. Ah, je suis bien de chez nous !

Un tel langage a pour Vernois des résonnances si neuves qu’il n’ose y répondre tout de suite et qu’il dit d’abord :

— Ne me montrerez-vous pas Follebarbe ? Je vais vous quitter ce soir, et je ne pourrai pas me représenter l’endroit que vous aimez tant.

Elle va décrocher du mur un petit cadre, mais hésite à le lui remettre :

— C’est tellement plus beau qu’on ne peut le deviner ici.

Il lui prend l’objet des mains et considère l’angle d’un corps de logis, coiffé d’un haut toit d’ardoise, et enserré de si près par les arbres que leurs branches doivent toucher les murs. Entre les chaînages de granit, le crépi semble