Page:NRF 18.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Raison de plus pour que ce soit vrai. Voici par exemple un homme qui s’introduit auprès d'une jeune femme sous prétexte d’exalter la mémoire de son mari…

Déjà elle est debout :

— Parlez de l’amour tant que vous voudrez, mais pas de nous.

Il la rattrape par le poignet et la contraint à se rasseoir.

— Admettons que cet homme n’ait été poussé que par l’indignation devant la facilité avec laquelle on élimine les disparus. Son cas n’en sera que plus significatif. Or que fait-il ? Par ses habiletés et ses maladresses, il n’aboutit qu’à désagréger peu à peu le souvenir de son camarade…

— Si quelque chose, s’écrie-t-elle, éclatait aux yeux, c’est votre bonne foi !

— Il n’y a que la bonne foi pour réussir de si délicates perfidies. Car le zèle qu’il apportait à faire l’éloge de ce pauvre garçon l’amenait, par un subtil détour, à se mettre lui-même en valeur, à suggérer des comparaisons.

Elle est à bout de patience :

— Si c’était pour me dire cela, il valait mieux ne pas venir ! Allez-vous-en !

— Si je m’en vais à cette heure, je n’aurai même plus, pour excuser une autre visite, le faible argument d’aujourd’hui. C’est maintenant ou jamais qu’il faut arriver à voir clair.

Elle le supplie :

— Il vaut mieux pas !…

— Je croyais que mon frère vous avait convaincue. Nous prendrons les questions l’une après l’autre.

Alors elle s’écrie :

— Pourquoi me tourmentez-vous ainsi ? Vous êtes assez perspicace pour mener tout seul votre affreuse enquête. S’il y a quelque chose à découvrir, vous le savez depuis longtemps. Pourquoi me forcer à vous dire ce que je ne veux pas ?