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dont l’exemple et les préceptes ont peut-être encouragé tant de hardiesses géniales, tant d’audaces heureuses de Proust). Qu’on songe, au surplus, à ce qui est dit dans Swann de la Sonate de Vinteuil, et, dans le Côté de Guermantes, du jeu de la Berma. Qu’on relise aussi les études sur Ruskin, l’article sur Flaubert et la Préface au livre de Morand.

J’aurais beaucoup à dire encore, si je me laissais aller, sur l’art de Proust (sur ce qu’il a de commun, par exemple, avec l’art de cet Elstir qui nous est présenté dans les Jeunes Filles en fleurs), sur les découvertes psychologiques de Proust qui s’apparentent à celles de Freud, sur les anachronismes, les intermittences, la dissociation perpétuelle du moi (dans la durée et en profondeur) que nous révèlent les personnages d'A la Recherche du Temps perdu, ce livre si savant et pourtant si étrangement attachant qu’on le lit avec autant de plaisir que l’on l’on faisait, enfant, (comme l’a dit Jacques Boulenger) les Trois Mousquetaires... Mais, je n’ai déjà que trop cédé au plaisir de parler de Proust et de livrer, au courant de la plume, des réflexions qui n’ont qu’un rapport bien lointain avec ce rapprochement des noms d’Einstein et de Proust qui a motivé cette lettre.

On aura vu, je pense, dans quel esprit j’ai fait ce rapprochement et j’avoue que j’estime, avec M. Allard, qu’il est assez séduisant pour l’imagination. Dirai-je maintenant, et pour finir, que M. Allard a peut-être tort d’écrire : « Faut-il dire que Proust a bouleversé la psychologie, comme on dit qu’Einstein a fait la physique ? » Je vois d’ici M. Bouasse, le physico-mathématicien de Toulouse, bondir et fulminer à ces mots de bouleversement de la physique, car il n’y aurait bouleversement que s’il y avait changement de méthode, et la méthode de la physique est bien fixée. Je me suis quelquefois diverti à appeler M. Bouasse, qui est une intelligence étonnamment claire et un terrible confrère peu respectueux des gloires établies, un « Stendhal de la physique ». Appelons de même M. Proust un Einstein de la psychologie ou M. Einstein un Proust de la physique, sans penser que la théorie de la Relativité généralisée se retrouve dans la Recherche du Temps perdu, ni M. de Charlus ou les découvertes psychologiques et stylistiques de Proust dans les équations covariantes d’Einstein, mais en