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considérations
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œuvre parfaite, c'est à son insu, ou par superstition, ou parce qu'une certaine sobriété peut lui paraître de la modestie.


Et comme la contrainte rend l'art étranger au public, elle l'isole de l'actualité. Toute la matière qui revient de droit au journal est trop fraîche, trop instable, pour être immédiatement plastique. Elle est toute gonflée d'intérêts personnels qu'il faut que d'abord elle dégorge.

Par souci de noblesse, certains artistes ont pensé ne pouvoir creuser trop profond le fossé qui sépare leur art de la vie quotidienne : attitude respectable, mais qui risque d'aboutir à des œuvres étiolées, pauvres de sang et qui, au lieu de dominer la vie, la boudent. — Un tel pessimisme est simpliste. Rien dans la vie n'est négligeable. Les artistes ne sont point d'innocents et nomades jongleurs. Tout ce qui constitue la vie publique les requiert, et leur fantaisie, même frivole, n'est jamais trop nourrie. Mais les événements journaliers ne leur offrent point une facile récolte : fruits pierreux, bien plutôt, qu'il faut écraser sous les meules, et moisson de tiges brutes dont on ne peut utiliser les fibres que rouies et broyées.

La tâche demeure celle que formulait déjà parfaitement du Bellay : défense et illustration de la