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84 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Quand je rentrai dans le salon, elle causait, sans s'ar- rêter de jouer mais indolemment à présent et comme improvisant au hasard, avec Abel qui était venu la rejoindre. Je les laissai : J'errai assez longtemps dans le jardin à la recherche d'Alissa.

Elle était au fond du verger, cueillant au pied d'un mur bas les premiers chrysanthèmes qui mêlaient leur parfum à celui des feuilles mortes de la hêtraie. L'air était saturé d'automne. Le soleil ne tiédissait plus qu'à peine les espaliers mais le ciel était orientalement pur. Elle avait le visage encadré, caché presque au fond d'une grande coiffe zélandaise qu'Abel lui avait rapportée de voyage et qu'elle avait mise aussitôt. Elle ne se retourna pas d'abord à mon approche, mais un léger tressaillement qu'elle ne put réprimer m'avertit qu'elle avait reconnu mon pas ; et déjà je me raidissais, m'encourageais contre ses reproches et la sévérité qu'allait faire peser sur moi son regard. Mais lorsque je fus assez près et que déjà, craintivement, je ralentissais mon allure, elle, sans d'abord tourner le front vers moi, mais le gardant baissé comme fait un enfant boudeur, tendit vers moi, presque en arrière, la main qu'elle avait pleine de fleurs, semblant m'inviter à venir. Et comme, au contraire, par jeu, à ce geste je m'arrêtai, elle, se retournant enfin fit vers moi quelques pas relevant son visage et je le vis plein de sourire. Comme éclairé par son regard, tout me parut soudain de nouveau simple, aisé, de sorte que, sans effort et d'une voix non changée je commençai :

— C'est ta lettre qui m'a fait revenir.

— Je m'en suis bien doutée, dit-elle, puis, émoussant

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