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294 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

effet accomplie, sans cette pointe d'orgueil. Elle sentait ce que la possession de Longval ajoutait de légitime à sa fierté, et quel fondement y prenait son importance. Elle me marqua aussitôt que je représentais définitive- ment à ses yeux le " pauvre petit garçon " sur lequel elle avait, en vertu de trois années d'aînesse, le droit absolu d'exercer son autorité de " demoiselle ". Mes enthousiasmes, que je lui confiais, lui parurent misérable- ment puérils. Quant à mon rêve d'intimité avec Prosper, elle m'en faisait honte.

Mais si, chacun de son point de vue, nous trouvions dans Longval sujet à nous réjouir, nos parents ne sem- blaient pas se féliciter beaucoup de leur héritage. Il étaient gens d'habitudes, modestes et dénués d'ambition. Mon père, déjà trop enclin à se tracasser, et démoralisé par les difficultés de la succession, s'inquiétait par avance de tous les soucis qu'allait lui causer une propriété dispen- dieuse, qui ne convenait pas plus à ses goûts qu'elle ne concordait avec ses moyens. Pour ce qui est de maman, elle chérissait la maison, peuplée de souvenirs, où s'était écoulée son enfance, mais elle se demandait avec anxiété comment elle se tirerait d'affaire dans l'exercice de ses fonctions purificatrices. Elle n'était pas femme à accepter qu'un château fût moins bien tenu qu'un appartement. Or, nos deux bonnes ne viendraient jamais à bout de la besogne courante, à plus forte raison des " grands net- toyages". Embarrassante contradiction: il fallait augmen- ter son train, alors que l'on cherchait de tous côtés à réaliser des économies, que l'on congédiait le second jardinier et que l'on se proposait de réduire les dépenses d'entretien au minimum.

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