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3l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

préféraient jacasser, tout comme des dames, des heures entières. Je leur brûlai la politesse, car la douleur a soif de solitude et ne redoute rien tant que les bavardages oiseux.

Et mes pas me portèrent instinctivement plus haut, sur les confins du jardin potager. Je songeais que peut- être ne reverrais-je plus, face à face, mon brave Prosper, son nez en trompette, sa tignasse rousse ébouriffée. Embusqué derrière un bouquet de troènes, je le guettai de très loin. Il apparut bientôt sous les tilleuls, gesti- cula comme un forcené, jeta son cri de guerre dans l'espace. Madame Davèzieux survint et le pourchassa. Il disparut, mais rêvais-je ? une minute après, il se montrait de nouveau, et dans Longval même ! Quatre à quatre et coupant au plus court, il dégringolait à travers le verger. Tambour le suivait en jappant. Emporté par son élan, il passa devant moi comme un bolide, le col de travers, la cravate flottante, les bas sur les chevilles. Immobilisé d'abord par la surprise, puis sans voix pour le héler, je dus prendre mes jambes à mon cou afin de le rejoindre. Nous ne nous sommes jamais autant amusés que ce jour-là.

Lorsqu'au premier coup de cloche du dîner, j'entrai dans le billard, lequel, moins pompeux que le salon, en tenait lieu pour notre usage journalier, je trouvai mes parents en grande conférence. Maman, tête basse, brodait. Mon père, qui, paraît-il, n'était pas encore las de marcher et de parler, arpentait la pièce en discourant. Hélas ! je devais retomber dans l'angoisse dont je venais de me délivrer si bien ! Mobile et trop sensible, mon âme oubliait vite, se hâtait d'espérer, désespérait de même.

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