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NOTES 22 5

tère et son humeur. Mais ce qui nous blesse et nous irrite, comme une sottise et comme une imposture, c'est cette accusation d'impuissance et de paresse sur quoi s'appesantit M. Brisson. Voilà bien le plus beau trait qu'un polygraphe puisse décrocher à un artiste !

Assez de nos contemporains pourront se prévaloir devant la postérité de n'avoir, en effet, connu ni restrictions ni répu- gnances. La prolixité des Marcel Prévost, des Abel Bonnard, des Paul Adam n'était peut être pas suffisamment corrigée par l'impuissance des Flaubert, des Baudelaire, des Mallarmé. Aux noms de ces grands auteurs, qui sont les plus fermes soutiens de notre inquiète démarche, nous joindrons avec joie celui d'un Henry Becque. Il sut, comme eux, tenir en défiance les commodités d'une culture trop assouplie. Il nous enseigne à trouver en nous-mêmes assez de restrictions pour que l'ex- pression artistique demeure à nos yeux, malgré tout, ce qu'il y a de plus difficile.

M. Brisson, parlant de Becque, écrit sérieusement : " Il eut la fortune, n'ayant produit que deux ou trois œuvres, lent à se renouveler, irrémédiablement stérile, d'égaler en renommée les Augier, les Dumas, les Sardou, féconds pourvoyeurs de la scène française.

Et d'abord il est faux que Becque n'ait produit " que deux ou trois oeuvres. " Il a composé huit pièces : Sardanapale, L'Enfant Prodigue, Michel Pauper, L'Enlèvement, La Navette, Les Honnêtes Femmes, Les Corbeaux et La Parisienne. L'avenir ne retiendra sans doute que trois d'entre elles, les trois der- nières. Combien en retiendra-t-il d'Augier, de Dumas et de Sardou ? Et quand il les pèsera dans ses mains équitables, laquelle l'emportera : la fécondité de Becque, ou celle de Sardou ? M. Brisson veut bien reconnaître qu'un quart de siècle ait passé sur La Parisienne sans y laisser la moindre ride. Peut-il en dire autant des Lionnes Pauvres ou de Maître Guérin, de La Princesse de Bagdad ou de La Femme de Claude f Si Becque fut " lent à se renouveler, " c'est qu'il ne suivait pas la mode, c'est que rien ne l'entraînait et qu'il recommen- çait à chaque instant tout son effort. Il ne s'appuyait que sur

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