Page:NRF 1909 2.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
LA PORTE ÉTROITE
157

l’aime pas ! Mais elle me l’a dit ce matin même. Tâche de l’empêcher, Jérôme ! Oh ! qu’est-ce qu’elle va devenir ?…

Elle se pendait à mon épaule dans une supplication désespérée ; j’aurais donné ma vie pour diminuer son angoisse.

Un cri soudain près de l’arbre ; un mouvement confus… Nous accourons. Juliette est tombée sans connaissance dans les bras de ma tante. Chacun s’empresse, se penche vers elle et je peux à peine la voir ; ses cheveux défaits semblent tirer en arrière sa face affreusement pâlie. Il paraissait, aux sursauts de son corps, que ce n’était point là un évanouissement ordinaire.

— Mais non ! mais non, dit à haute voix ma tante, pour rassurer mon oncle Bucolin qui s’effare et que déjà le pasteur Vautier console, l’index dirigé vers le ciel, — mais non ! ce ne sera rien. C’est l’émotion ; une simple crise de nerfs. Monsieur Teissière, aidez-moi donc, vous qui êtes fort. Nous allons la monter dans ma chambre ; sur mon lit ; sur mon lit. — Puis elle se penche vers l’aîné de ses fils, lui dit quelque chose à l’oreille et je vois celuici qui part aussitôt, sans doute chercher un médecin.

Alissa soulève les pieds de sa sœur et les embrasse tendrement. Ma tante et le prétendant maintiennent Juliette sous les épaules, à demi renversée dans leurs bras. Abel soutient la tête qui retomberait en arrière, — et je le vois, courbé, couvrir de baisers ces cheveux abandonnés qu’il rassemble.

Devant la porte de la chambre je m’arrête. On étend Juliette sur le lit ; Alissa dit à M. Teissière et à Abel quelques mots que je n’entends point ; elle les accom