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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

d’avril, j’arrivai à Fongueusemare. Si d’abord je fus déçu de ne pas la trouver prompte à m’accueillir, tout aussitôt après je lui sus gré de nous épargner à tous deux l’effusion banale des premiers instants de revoir.

Elle était au fond du jardin ; je m’acheminai vers ce rond-point, étroitement entouré de buissons, à cette époque de l’année tout en fleurs, lilas, sorbiers, cytises, weigelias, — où elle causait avec son père le jour que, malgré moi, j’avais surpris leur conversation, et d’où elle surprenait plus tard la conversation que j’avais avec Juliette. Pour ne point l’apercevoir de trop loin, ou pour qu’elle ne me vît pas venir, je ne suivis pas l’allée claire qui longeait les espaliers ; je suivis, de l’autre côté du jardin, l’allée sombre où l’air était frais sous les branches. J’avançais lentement ; le ciel était, comme ma joie, chaud, brillant, délicatement pur. Sans doute elle m’attendait venir par l’autre allée ; je fus près d’elle, derrière elle, sans qu’elle m’eût entendu approcher. Je m’arrêtai… Et comme si le temps eût pu s’arrêter avec moi : Voici l’instant, pensai-je, l’instant le plus délicieux peut-être, quand il précéderait le bonheur même, et que le bonheur même ne vaudra pas…

Je voulais tomber à genoux devant elle ; je fis un pas, qu’elle entendit. Elle se dressa soudain, laissant rouler à terre la broderie qui l’occupait, tendit les bras vers moi, posa ses mains sur mes épaules. Quelques instants nous demeurâmes ainsi, elle les bras tendus, la tête souriante et penchée, me regardant tendrement sans rien dire. Elle était vêtue tout en blanc. Sur son visage presque trop grave, je retrouvais son sourire d’enfant…

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— Ecoute, Alissa, m’écriai-je tout d’un coup : j’ai