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LA PORTE ÉTROITE
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ment que j’éprouvais à t’écrire ? Combien les mots que je trace ici restent froids ! Par les lettres, par la présence, nous avons épuisé tout le pur de la joie à laquelle notre amour peut prétendre. Et maintenant, malgré moi, je m’écrie comme Orsino du Soir des Rois " Assez ! pas davantage ! Ce n’est plus aussi suave que tout à l’heure ".

Adieu mon ami. Hic incipit amor Dei. Ah ! sauras-tu jamais combien je t’aime ?… Jusqu’à la fin je serai ton

À lissa. "

Contre le piège de la vertu, je restais, comme avant, sans défense. Tout héroïsme en m’éblouissant m’attirait — car je ne le séparais pas de l’amour… La lettre d’Alissa m’enivra du plus téméraire enthousiasme. Dieu sait que je ne m’efforçais vers plus de vertu que pour elle. Tout sentier, pourvu qu’il montât, me mènerait où la rejoindre. Ah ! le terrain ne se rétrécirait jamais trop vite, pour ne supporter plus que nous deux ! Hélas ! je ne soupçonnais pas la subtilité de sa feinte, et j’imaginais mal que ce fût par une cime qu’elle pourrait de nouveau m’échapper.

Je lui répondis longuement. Le seul passage à peu près clairvoyant de ma lettre était celui-ci dont je mesouviens: Il me paraît souvent, lui disais-je, que mon amour est ce que je garde en moi de meilleur ; que toutes mes vertus s’y suspendent; qu’il m’élève au-dessus de moi et que, sans lui, je retomberais à cette médiocre hauteur d’un naturel très ordinaire. C’est par l’espoir de te rejoindre que le sentier le plus ardu m’apparaîtra toujours le meilleur. Sans doute ainsi je parlais — qu’ajoutai-je qui pût la pousser à me répondre ceci:

u Mais mon ami, la sainteté n’est pas un choix; c’est une