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I08 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pas le moins du monde que le Souvenir l'attende là, où il le fallait. Il ne trouve pas un instant que cela se fasse trop comme cela se devait — en bonne logique. Puisqu'il revient dans la Capitale de l'Ouest, il n'est nullement sur- prenant que le monde qu'il porte dans sa tête députe au bord du trottoir, pour le recevoir, ce bonnet d'Astrakan rougeâtre et cette longue capote noire tachée et veuve de boutons.

— " Bonjour ! "

Lorsqu'on touche le fa d'un piano légèrement désac- cordé, tous les fas de l'instrument s'émeuvent. La voix aigre et brusque de la figure coiffée de fourrure fait trem- bler le passé en Valentin Loubatié.

Il grimace un sourire.

— " Monsieur David — Davido...?

— " Davidow^itsch, oui, Davidowitsch, aha ! un nom de sauvage, n'est-ce pas, Monsieur Loubatié ? Et comme ça, ça vous va à la bonne depuis les fois anciennes ? "

Privée de la résonnance que lui donnait — " les fois anciennes " — l'arrière-boutique du marchand de cycles, la voix du Juif russe prend un éclat sec qui surprend le Voyageur comme une détonation de revolver dans le brouillard. Il ne peut se retenir de jeter un regard circu- laire sur les citoyens qui écoutent ; on ne saurait mieux s'arranger pour se faire écharper ; on n'a pas idée de déclamer son état-civil sur les toits quand on porte un nom à la nitro-glycérine. Mais les citoyens contemplent le Voyageur avec attendrissement.

Il touche la main que lui tend largement son inter- locuteur.

— " Vous nous avez lâchés, hein ? Il y a bien dix ans

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