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23'^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

depuis des jours et des semaines, y promenant des souffrances informes et sans nom que le contraste de cette terre en fête a fait pleinement éclore. La promesse matinale du premier jour était un leurre : cette solitude que j'avais crue amie continue de se taire obstinément, afin que j'entende mieux sonner le glas de ma jeunesse. Midi dans ce jardin d'Ajaccio ! L'heure est terrible et pleine de bizar- res hallucinations, à laquelle on sait brusquement que, le soleil arrêté, rien ne pourra faire qu'il ne redescende. Un moment symétriques, le passé et l'avenir se tiennent en balance ; le temps rétréci ne bouge plus qu'au point central du cœur, mais dans le sablier le sable ne cesse de couler et de diminuer. Etait-ce le temps que j'entendais s'égout- ter, sans qu'il vînt seulement mouiller le fond de ma coupe ? Assis au soleil, sur une pierre brûlante, j'avais froid jusque dans la moelle de mes os. Au paroxysme de l'angoisse, on ne sent plus la douleur, car dans la souffrance, au contraire, il y a une vie infinie. J'étais comme un cadavre qui se refroidit. J'avais du reste complètement oublié la cause de mon épouvante, ne sachant plus mon nom ni ma figure. — Dans le cadre strictement indifférent de cette chambre d'hôtel, — une longue chambre morne où se trouve, à un bout, la fenêtre, à l'autre le lit et la porte, — peu à peu je me ressouviens. Oui, je suis celui qui est égaré sans retour possible, profondément engagé dans la fausse route, à l'heure où déjà s'annonce le soir.

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