Page:NRF 6.djvu/451

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

D UNE SECTION D INFANTERIE 445

cisaillé les fronts. L'habitude des responsabilités, qui frappent de biais où on ne les attend pas, avait arrondi les échines. Les tempes avaient cessé d'être des tempes d'enfants ; et pourtant, sentant qu'on allait faire d'eux quelque chose qui ne dépendait pas d'eux, qui était dififé- rent d'eux tous, ce troupeau flottait. Les hommes savou- raient avec une sorte de folie ce hiatus entre deux disci- plines. Il s'ouvrait pour un instant dans leur vie une sorte de bâillement bienveillant — une heure pure de tout souci, où coulait une joie d'homme primitif. Ainsi l'absence de contrainte naissait de la contrainte.

Mais, sur une injonction rapide, les postes qui gardaient les issues se couronnèrent de baïonnettes : elles surgirent, luisantes et droites, de la foule, en soulevant quelque chose de rigide au bout de leurs pointes ; elles semblaient rallier les volontés contradictoires autour de leur com- mandement, aigu comme un coup de sifflet. C'était l'armature métallique de l'ordre qui se dressait.

Elle fit peur. La masse des réservistes houla et reflua. Ils souhaitèrent sauver leur joie. D'autant plus ardemment qu'ils savaient que cela n'était pas possible. Trop d'insou- ciance dans un groupe prouve qu'il n'est pas viable.

Les casquettes blanches sillonnèrent la marée en hur- lant des ordres que les employés feignirent, par con- fraternité, de ne pas entendre. Des cornes signalèrent désespérément aux machinistes l'interruption du trafic ; des drapeaux rouges se déployèrent aux extrémités du hall dont la verrière vibrait comme une peau de tambour.

La foule fit parade de sa discipline spontanée en se pliant tapageusement aux ordres des employés. Des meneurs improvisèrent à grands coups de gueule une espèce

�� �