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d’Europe, marchandise vivante, geignante, révoltée, futur ornement des sérails. Le port de guerre se complétait par un marché de chair humaine. De la batterie on passait de plain pied au lupanar. L’odeur de la poudre cédait aux vapeurs des parfums et les larges cimeterres, teints récemment encore de sang chrétien, servaient à rajuster la coiffe d’une nonnain aux yeux rougis et à ressusciter sur ses lèvres un sourire, présage des consentements définitifs.

Imaginations déréglées dont j’ai honte aujourd’hui, plutôt parce qu’il me fut prouvé qu’elles étaient mensongères, que pour la voluptueuse ardeur dont elles accablaient mes rêves d’adolescent.

Aussi me promettais-je de faire escale dans un port que je me représentais sous de si pittoresques aspects. J’y comptais satisfaire une soif innée d’aventures martiales et amoureuses : j’étais brave, comme tout Persan digne de ce nom, riche, habile aux exercices de force et d’adresse ; le prestige de ma patrie m’environnait d’ailleurs de la considération universelle, car Nadir Shah régnait alors et le grand conquérant venait de planter sur Delhi ses étendards victorieux.

Je trouvai à Damiette un brick en partance pour Tripoli, Palerme et Naples. J’y pris passage et, peu après, nous voguions à pleines voiles au long des côtes africaines.

La traversée fut monotone et eût été déprimante, si je n’avais fait à bord la connaissance d’un certain signor Zambinelli. Cet aimable Vénitien baragouinait plaisamment le persan ; je savais moi-même quelques phrases en sa langue, et nous finîmes par fort bien nous faire entendre l’un de l’autre. Zambinelli se donnait pour un marchand de pacotille voyageant pour son commerce. Il