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a travers le grönland.

un garçon plein d’entrain et insouciant ; la différence d’âge et de situation explique suffisamment leur diversité de goûts.

Jamais, autant que je pus le savoir, l’ordre ne fut troublé dans la maison habitée par nos gens. Pour éviter toute aventure fâcheuse, défense avait été faite au beau sexe indigène d’entrer dans la chambre des Lapons. Les Grönlandaises sont, comme on le sait, peu farouches.

Celle prohibition n’empêcha pas toutefois Balto de tomber amoureux d’une jeune fille. Elle était fiancée à un catéchiste indigène qui habitait pour le moment une « colonie » située au nord de Godthaab et avec lequel elle devait se marier. Cet engagement n’empêcha pas Sophie d’écouler les protestations de Balto ; mais l’idylle resta platonique.

Notre camarade écrivit à sa bien-aimée une lettre qu’un indigène se chargea de traduire en grönlandais. Dans cette missive, il lui expliquait qu’il renonçait à sa main pour deux raisons : d’abord elle était fiancée, et en second lieu jamais elle ne pourrait s’habituer à la vie des Lapons. Balto terminait en faisant ses adieux à Sophie et en l’assurant de son affection.

Le premier dimanche après l’arrivée de la caravane, la « saison » de Godthaab commença par un bal. Tous les membres de l’expédition, à l’exception de Ravna, y prirent part et désormais n’eurent garde de manquer à aucune de ces réunions, du reste très fréquentes.

Bien curieux était l’aspect de la salle de bal remplie de Grönlandaises souriantes et toutes coquettement habillées. Leur petit costume masculin bariolé de couleurs vives ajoutait au piquant de tous ces frais minois. Inutile de dire que dans ces soirées notre succès fut complet ; Balto ne fut cependant jamais un bon danseur ; les Lapons n’ont, comme on le sait, aucune danse, et dans cet exercice notre compagnon était absolument ridicule.

Les premiers temps de notre séjour furent très agréables. L’accueil des Grönlandais aussi bien que des Danois nous fil presque oublier les souffrances de notre exploration. Malgré cela, la pensée d’hiverner à Godthaab ne nous était pas précisément agréable. Bien que nous eussions perdu l’espoir d’être rapatriés par le Fox, nous avions la hantise du départ.