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Page:Nel - La flamme qui vacille, 1930.djvu/16

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LA FLAMME QUI VACILLE

oiseau sinistre, se raccrochant désespérément au faible espoir contenu dans le mot : « Disparu ». Maintenant, devant ses yeux, s’étalait la sinistre formule : « Mort au champ d’honneur », et impressionnée par la puissance de ce qui est écrit, elle perdit toute espérance.

Elle eut une faiblesse, suivie d’une crise de larmes, puis elle se raidit, gardant en elle-même sa douleur, les yeux secs et le masque farouche.

Le lendemain, elle se rendit à l’hôpital vêtue de noir. On lui demanda :

— De qui portez-vous le deuil ?

Elle répondit simplement :

— « De mon fiancé ! », sans se rendre compte de la terrible opposition des deux mots, dont l’un signifie : « Espoir », et l’autre « Néant. »

Elle demanda à parler à l’aumônier, lui confia sa peine et son désir d’entrer en religion.

L’aumônier était un homme jeune et doux, aussi modeste qu’intelligent. Il était bien plus habitué aux confidences qu’aux confessions, dans cet hôpital de convalescence, où les cas graves étaient fort rares. Quand un patient avait une peine à atténuer, une inquiétude à calmer, un ennui à partager, un conseil à demander, il s’adressait à l’aumônier. Celui-ci le faisait asseoir en face de lui et disait simplement :

— Qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas ?

On racontait sa petite histoire et il vous réconfortait avec une force de persuasion aussi remarquable que sa patience à vous écouter. Il était si bon que je crois qu’il aurait persuadé un pécheur qu’il n’avait pas péché et qu’il l’aurait aidé à trouver des circonstances atténuantes. Il n’était jamais un juge. Toujours un avocat.

Un jour, un des pensionnaires de l’institution s’étant attardé en ville, cherchait un « plan » pour entrer après l’heure, ce qui était fort difficile, quand il se trouva nez à nez avec l’aumônier, qui reconnut en lui un garçon qu’il jugeait bon et honnête. L’excellent homme le considéra avec surprise et s’exclama :

— Vous ? Un de mes meilleurs ? Oh ! vous me faites beaucoup de peine !

Puis, il l’aida à cacher son escapade.

Ce soir-là, il sema les germes d’une conversion.

Que le lecteur veuille bien excuser cette parenthèse ; c’est un tel plaisir d’extérioriser un sentiment d’admiration — qu’on a si rarement l’occasion d’éprouver — que l’auteur s’y est laissé entraîner.

Revenons à nos moutons ! comme dirait le juge de Panurge.

Après avoir écouté Cécile, l’aumônier lui dit simplement :

— Vous voulez entrer en religion parce que votre fiancé est mort… Êtes-vous certaine qu’il le soit ?… S’il ne l’est pas, s’il revient, n’aurez-vous aucun regret ? Moi, je vous dis : « Il peut revenir » Vous, dites-vous : « Il va revenir ? » Attendez, priez et espérez.

Elle quitta l’aumônier toute rassérénée et alla endosser sa tenue d’infirmière en se répétant avec une confiance presque heureuse :

— Il va revenir ! Il va revenir !

Pendant de longs jours, elle attendit, elle pria, elle espéra.

Il ne vint pas, mais, comme une lueur fulgurante de joie, la nouvelle lui parvint par une carte qu’il était prisonnier et qu’il n’avait pas cessé de penser à elle.

Ne voulant pas être égoïste dans son bonheur, elle se hâta d’envoyer un câblogramme aux parents de Julien, qui apprirent ainsi d’elle l’heureuse nouvelle et lui répondirent par une lettre pleine de tendre gratitude.

Après la tourmente, les jours s’écoulèrent dans l’espoir ; elle vivait dans l’avenir. La guerre finirait et les nuages se déchirant, laisseraient apparaître un ciel resplendissant.


XII

LA RÉCOMPENSE DU HÉROS


Ce n’est qu’en mars 1919, que les jeunes gens, dont les fiançailles avaient si largement reçu l’épreuve du malheur, purent réaliser leur rêve. Leur union, contractée à la mairie de la rue Pronot, fut bénie en l’église de La Trinité.

Après l’immense joie de l’armistice, Cécile avait dû passer encore de longs jours dans l’attente de son fiancé. Enfin, la nouvelle lui parvint, par dépêche, qu’il était en Angleterre, au sanatorium militaire de Brighton, pour y réparer les ravages qu’avaient causés en lui, les misères et l’ennui de la captivité.

Folle d’inquiétude à son sujet, elle obtint sans peine de sa tante la permission d’aller le voir. Elle le trouva très changé, pâle, amaigri et fort déprimé, présentant des symptômes caractéristiques de neurasthénie. Il prétendit même lui rendre sa liberté, pris de scrupule en se voyant lui-même si vieilli et physiquement amoindri, auprès de cette jeune fille, belle comme le jour, que l’émoi de le retrouver rendait plus attrayante encore. Dans l’ardeur de son amour, la jeune fille se révolta. Ne lui avait-elle pas promis d’être sa compagne et son alliée, de partager ses joies et ses peines ? Sans vouloir l’inquiéter sur son état de santé, elle lui déclara avec fermeté que, quelque malade qu’il fût, elle ne renoncerait pas au bonheur de le soigner et de le guérir. Et ce fut elle, en effet, qui par son courage et sa fidélité dans le malheur, fut l’agent principal de sa guérison. Elle avait pris pension, pour quelques jours, dans une institution religieuse du voisinage et venait, chaque après-midi, passer de longues heures auprès de lui. Un jour, il lui présenta le médecin-chef de l’hôpital, qu’elle crut devoir remercier de ses soins envers son fiancé. Le médecin éclata d’un bon rire en s’exclamant :

— Mes soins n’y sont rien, mademoiselle. C’est vous qui êtes un docteur miraculeux. Vous ne voyez donc pas quel changement s’est opéré en lui depuis votre première visite ? Vous lui avez donné la volonté de guérir, sans laquelle tous les médecins du monde sont impuissants.

— Dans combien de temps pourra-t-il… entrer dans la vie ? s’enquit anxieusement la jeune fille.

Le major ne répondit pas de suite à cette question. Il essuya les verres de ses lunettes,