Page:Nerciat - Félicia.djvu/227

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Il est vrai que les facultés d’aimer, de jouir étaient totalement suspendues en moi, mais chez nous autres femmes de plaisir, ces révolutions sont de peu de durée et ne tirent point à conséquence. Je prouvai bientôt au charmant chevalier que je ne prétendais pas m’oublier. Et même la santé de notre convalescent exigeant que je le visse beaucoup moins, puisque je lui retraçais si vivement ses malheurs, je me rendis à la société et me retrouvai bientôt au courant de mes habitudes. Mille plaisirs assaisonnés de toutes les variétés que nous savions pouvoir seules éloigner le dégoût remplissaient nos heureux moments.

Entendre le chevalier raconter ses innombrables galanteries n’était pas le moins amusant de mes passe-temps. Il lui était arrivé des aventures si plaisantes, il les contait avec tant d’agréments et de feu, que le plaisir de l’écouter ne manquait jamais de conduire à celui de réaliser ce qu’il savait si bien peindre. J’aurais eu de quoi grossir beaucoup mon ouvrage si cet aimable libertin avait daigné jeter sur le papier son histoire ; mes lecteurs m’auraient su un gré infini de la leur avoir transmise. Mais paresseux et peu jaloux d’être célébré, il a refusé cruellement de me donner un d’Aiglemontana. Bien loin de vouloir écrire, il trouve mauvais que je me donne ce plaisir : en un mot, ce censeur dont j’ai déjà parlé deux fois, et qui voulait me dissuader d’écrire ma dix-huitième fredaine, à la fin cependant il me laisse faire, sans doute parce qu’il n’est plus temps que je recule. D’ailleurs, il ne contrarie jamais au point d’être lui-même le plus entêté. Mais finissons cette digression par le récit d’une aventure presque incroyable arrivée à ce héros, et qui fera voir combien l’on perd à n’avoir pas une collection de ses folies : c’est lui qui va parler.

« Vous savez, ma chère Félicia, comment en dernier lieu j’ai eu le courage d’aller passer quelque temps chez moi, pour complaire à mon oncle. L’honnête ville qui m’a donné le jour a pour habitants des gens à peu près de la force de ceux que nous avons vus là-bas. Mêmes préjugés, mêmes