Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/102

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lois de notre cercle, n’ira la retrouver peut-être qu’après la nuit.

Sans trop d’émotion, je tournai les yeux vers le personnage indiqué. C’était un jeune homme correctement vêtu, d’une figure pâle et nerveuse, ayant des manières convenables et des yeux empreints de mélancolie et de douceur. Il jetait de l’or sur une table de whist et le perdait avec indifférence.

— Que m’importe, dis-je, lui ou tout autre ? Il fallait qu’il y en eût un, et celui-là me paraît digne d’avoir été choisi.

— Et toi ?

— Moi ? C’est une image que je poursuis, rien de plus. 

En sortant, je passai par la salle de lecture, et machinalement je regardai un journal. C’était, je crois, pour y voir le cours de la Bourse. Dans les débris de mon opulence se trouvait une somme assez forte en titres étrangers. Le bruit avait couru que, négligés longtemps, ils allaient être reconnus ; — ce qui venait d’avoir lieu à la suite d’un changement de ministère. Les fonds se trouvaient déjà cotés très haut ; je redevenais riche.

Une seule pensée résulta de ce changement de situation, celle que la femme aimée si longtemps était à moi si je voulais. Je touchais du doigt mon idéal. N’était-ce pas une illusion encore, une faute d’impression railleuse ? Mais les autres feuilles parlaient de même. — La somme gagnée se dressa devant moi comme la statue d’or de Moloch.

— Que dirait maintenant, pensais-je, le jeune homme de tout à l’heure si j’allais prendre sa place près de la femme qu’il a laissée seule ?… 

Je frémis de cette pensée, et mon orgueil se révolta.

— Non ! ce n’est pas ainsi, ce n’est pas à mon âge que l’on tue l’amour avec de l’or : je ne serais pas un corrupteur. D’ailleurs ceci est une idée d’un autre temps. Qui me dit aussi que cette femme soit vénale ?

Mon regard parcourait vaguement le journal que je tenais encore, et j’y lus ces deux lignes : « Fête du Bouquet provin-