Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/118

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tion que les ruines de son cloître aux arcades byzantines, dont la dernière rangée se découpe encore sur les étangs, — reste oublié des fondations pieuses comprises parmi ces domaines qu’on appelait autrefois les métairies de Charlemagne. La religion, dans ce pays isolé du mouvement des routes et des villes, a conservé des traces particulières du long séjour qu’y ont fait les cardinaux de la maison d’Este à l’époque des Médicis : ses attributs et ses usages ont encore quelque chose de galant et de poétique, et l’on respire un parfum de la Renaissance sous les arcs des chapelles à fines nervures, décorées par les artistes de l’Italie. Les figures des saints et des anges se profilent en rose sur les voûtes peintes d’un bleu tendre, avec des airs d’allégorie païenne qui font songer aux sentimentalités de Pétrarque et au mysticisme fabuleux de Francesco Colonna.

Nous étions des intrus, le frère de Sylvie et moi, dans la fête particulière qui avait lieu cette nuit-là. Une personne de très-illustre naissance, qui possédait alors ce domaine, avait eu l’idée d’inviter quelques familles du pays à une sorte de représentation allégorique où devaient figurer quelques pensionnaires d’un couvent voisin. Ce n’était pas une réminiscence des tragédies de Saint-Cyr, cela remontait aux premiers essais lyriques importés en France du temps des Valois. Ce que je vis jouer était comme un mystère des anciens temps. Les costumes, composés de longues robes, n’étaient variés que par les couleurs de l’azur, de l’hyacinthe ou de l’aurore. La scène se passait entre les anges, sur les débris du monde détruit. Chaque voix chantait une des splendeurs de ce globe éteint, et l’ange de la mort définissait les causes de sa destruction. Un esprit montait de l’abîme, tenant en main l’épée flamboyante, et convoquait les autres à venir admirer la gloire du Christ vainqueur des enfers. Cet esprit, c’était Adrienne transfigurée par son costume, comme elle l’était déjà par sa vocation. Le nimbe de carton doré qui ceignait sa tête angélique nous paraissait bien naturellement un cercle