Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/130

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— Vous êtes dans vos réflexions ? dit Sylvie, et elle se mit à chanter :

À Darnmartin l’y a trois belles filles :
L’y en a z’une plus belle que le jour…

— Ah ! méchante ! m’écriai-je, vous voyez bien que vous en savez encore des vieilles chansons.

— Si vous veniez plus souvent ici, j’en retrouverais, dit-elle, mais il faut songer au solide. Vous avez vos affaires à Paris, j’ai mon travail ; ne rentrons pas trop tard : il faut que demain je sois levée avec le soleil. 

XII

LE PÈRE DODU

J’allais répondre, j’allais tomber à ses pieds, j’allais offrir la maison de mon oncle, qu’il m’était possible encore de racheter, car nous étions plusieurs héritiers, et cette petite propriété était restée indivise ; mais en ce moment nous arrivions à Loisy. On nous attendait pour souper. La soupe à l’oignon répandait au loin son parfum patriarcal. Il y avait des voisins invités pour ce lendemain de fête. Je reconnus tout de suite un vieux bûcheron, le père Dodu, qui racontait jadis aux veillées des histoires si comiques, ou si terribles. Tour à tour berger, messager, garde-chasse, pêcheur, braconnier même, le père Dodu fabriquait à ses moments perdus des coucous et des tournebroches. Pendant longtemps il s’était consacré à promener les Anglais dans Ermenonville, en les conduisant aux lieux de méditation de Rousseau et en leur racontant ses derniers moments. C’était lui qui avait été le petit garçon que le philosophe employait à classer ses herbes, et à qui il donna l’ordre de cueillir les ciguës dont il exprima le suc dans sa tasse de café au lait. L’aubergiste de la Croix d’or lui contestait ce détail ; de là des haines prolongées. On