Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/135

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resté maigre, il produisait encore de l’effet dans les provinces. Il avait du feu. J’accompagnais la troupe en qualité de seigneur poëte ; je persuadai au régisseur d’aller donner des représentations à Senlis et à Dammartin. Il penchait d’abord pour Compiègne ; mais Aurélie fut de mon avis. Le lendemain, pendant que l’on allait traiter avec les propriétaires des salles et les autorités, je louai des chevaux, et nous prîmes la route des étangs de Commelle pour aller déjeuner au château de la reine Blanche. Aurélie, en amazone avec ses cheveux blonds flottants, traversait la forêt comme une reine d’autrefois, et les paysans s’arrêtaient éblouis. — Madame de F… était la seule qu’ils eussent vue si imposante et si gracieuse dans ses saluts. — Après le déjeuner, nous descendîmes dans des villages rappelant ceux de la Suisse, où l’eau de la Nonette fait mouvoir des scieries. Ces aspects chers à mes souvenirs l’intéressaient sans l’arrêter. J’avais projeté de conduire Aurélie au château, près d’Orry, sur la même place verte où pour la première fois j’avais vu Adrienne. — Nulle émotion ne parut en elle. Alors je lui racontai tout ; je lui dis la source de cet amour entrevu dans les nuits, rêvé plus tard, réalisé en elle. Elle m’écoutait sérieusement et me dit :

— Vous ne m’aimez pas ! Vous attendez que je vous dise : « La comédienne est la même que la religieuse ; » vous cherchez un drame, voilà tout, et le dénouement vous échappe. Allez, je ne vous crois plus !  

Cette parole fut un éclair. Ces enthousiasmes bizarres que j’avais ressentis si longtemps, ces rêves, ces pleurs, ces désespoirs et ces tendresses…, ce n’était donc pas l’amour ? Mais où donc est-il ?

Aurélie joua le soir à Senlis. Je crus m’apercevoir qu’elle avait un faible pour le régisseur, le jeune premier ridé. Cet homme était de caractère excellent et lui avait rendu des services.

Aurélie m’a dit un jour :

— Celui qui m’aime, le voilà !