Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/15

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Un jour, arriva dans la ville une femme d’une grande renommée qui me prit en amitié, et qui, habituée à plaire et à éblouir, m’entraîna sans peine dans le cercle de ses admirateurs. Après une soirée où elle avait été à la fois naturelle et pleine d’un charme dont tous éprouvaient l’atteinte, je me sentis épris d’elle à ce point que je ne voulus pas tarder un instant à lui écrire. J’étais si heureux de sentir mon cœur capable d’un amour nouveau !… J’empruntais, dans cet enthousiasme factice, les formules mêmes qui, si peu de temps auparavant, m’avaient servi pour peindre un amour véritable et longtemps éprouvé. La lettre partie, j’aurais voulu la retenir, et j’allai rêver dans la solitude à ce qui me semblait une profanation de mes souvenirs.

Le soir rendit à mon nouvel amour tout le prestige de la veille. La dame se montra sensible à ce que je lui avais écrit, tout en manifestant quelque étonnement de ma ferveur soudaine. J’avais franchi, en un jour, plusieurs degrés des sentiments qu’on peut concevoir pour une femme avec apparence de sincérité. Elle m’avoua que je l’étonnais tout en la rendant fière. J’essayai de la convaincre ; mais, quoi que je voulusse lui dire, je ne pus ensuite retrouver dans nos entretiens le diapason de mon style, de sorte que je fus réduit à lui avouer, avec larmes, que je m’étais trompé moi-même en l’abusant. Mes confidences attendries eurent pourtant quelque charme, et une amitié plus forte dans sa douceur succéda à de vaines protestations de tendresse.

II

Plus tard, je la rencontrai dans une autre ville où se trouvait la dame que j’aimais toujours sans espoir. Un hasard les fit connaître l’une à l’autre, et la première eut occasion, sans doute, d’attendrir à mon égard celle qui m’avait exilé de son cœur. De sorte qu’un jour me trouvant dans une société dont