Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/164

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eut à repousser des tentations assez vives. Mais, dit encore notre document, elle résista héroïquement. Comment en effet pouvait-elle agir autrement, elle dont la pensée tendait à un autre but ? Oui, son regard était sans cesse fixé sur le soleil couchant, sur cette partie du monde où vivait son cher Toffel. Depuis cinq années entières, elle avait supporté sa captivité avec un courage, avec une fermeté héroïques et vraiment irlandaises ; mais présentement elle sentait chaque jour davantage l’amertume de sa position. Pendant la première année, elle avait été tenue en mouvement par la nouveauté de sa destinée ; elle avait, en outre, été stimulée par le sentiment de la conservation. Durant les années suivantes, elle s’était peut-être sentie flattée des attentions de son adorateur indien ; — mais faire la coquette avec un sauvage, ce n’était, après tout, qu’un pauvre passe-temps, et cela ne pouvait durer à la longue. Ainsi, le vif désir de revoir les lieux sur lesquels se concentraient ses souvenirs prenait chaque jour en elle plus de force. Songer à fuir, c’eût été de sa part une folie pendant la première année ; on l’avait surveillée, durant l’été, avec des yeux d’Argus, car son adresse en toute chose la rendait indispensable aux sauvages, et une fuite dans le cours de l’hiver n’était pas plus exécutable. Où aurait-elle trouvé des vivres, un lieu de repos ? Son voyage jusqu’au camp des sauvages avait duré vingt jours ; elle devait donc être à une énorme distance de chez elle, et si, par malheur, on avait connu son projet, son sort eût été horrible.

III

COMMENT JEMMY REVINT CHEZ JACQUES TOFFEL

Enfin, l’occasion favorable que Jemmy désirait si vivement vint se présenter à l’expiration du cinquième été après son enlèvement. Les hommes étaient partis pour la chasse d’automne ; leurs femmes les avaient accompagnés ; il n’était resté au camp que les plus faibles et les plus âgés. Par le conten-