Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/168

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Toffel la saisit par sa robe, et, se plaçant devant elle, l’empêcha de sortir.

— Ma bien-aimée, lui dit-il, arrête-toi encore quelques moments, jusqu’à ce que je t’aie appris…

— Appris quoi ? reprit-elle avec impatience ; que peux-tu avoir à me dire ? Je désire voir mon garçon et comment tu as conduit les affaires de la maison ; j’espère que tout est en ordre…

Son œil jeta un regard scrutateur sur le pauvre Toffel, qui ne semblait nullement être à son aise.

— Mon cœur, ma femme ! continua-t-il, aie seulement un peu de patience !

— Je ne veux pas avoir de patience, répliqua-t-elle ; pourquoi ne veux-tu pas entrer dans la maison ?

Et, en disant ces mots, elle s’approcha de la porte. Toffel, au dernier point embarrassé, lui barra de nouveau le chemin, en prenant ses deux mains.

— Eh ! by Jasus[1], et de par toutes les autorités ! s’écria-t-elle étonnée d’une conduite si singulière, je serais tentée de croire que tout n’est point ici en règle et que tu n’es pas bien aise de me voir !

— Moi, ne pas être bien aise de te voir ! mon cœur, ma bien-aimée ! Oui, oui, tu seras de nouveau ma femme ! répondit le brave garçon.

— Je serai de nouveau, de nouveau ta femme ! répéta-t-elle.

Et ses yeux étaient étincelants, et son petit nez se tordait.

— Être de nouveau sa femme, se dit-elle encore à voix basse, en s’arrachant avec force de ses mains.

Puis, montant l’escalier avec la rapidité de l’éclair, elle se précipita sur la porte, pressa le loquet, ouvrit et vit, se berçant doucement dans un fauteuil, Marie Lindthal, la plus jolie blondine de toute la colonie, jadis sa rivale, et maintenant l’heureuse usurpatrice de ses droits matrimoniaux.

  1. Exclamation irlandaise.