Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/179

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les chefs-d’œuvre de Michel-Ange, la tour penchée et le Campo-Santo de Pise. Puis, prenant la route de Spolette, je m’arrêtai dix jours à Rome. Le dôme de Saint-Pierre, le Vatican, le Colisée m’apparurent ainsi qu’un rêve. Je me hâtai de prendre la poste pour Civita-Vecchia, où je devais m’embarquer. — Pendant trois jours, la mer furieuse retarda l’arrivée du bateau à vapeur. Sur cette plage désolée où je me promenais pensif, je faillis un jour être dévoré par les chiens. — La veille du jour où je partis, on donnait au théâtre un vaudeville français. Une tête blonde et sémillante attira mes regards. C’était la jeune Anglaise qui avait pris place dans une loge d’avant-scène. Elle accompagnait son père, qui paraissait infirme, et à qui les médecins avaient recommandé le climat de Naples.

Le lendemain matin je prenais tout joyeux mon billet de passage. La jeune Anglaise était sur le pont, qu’elle parcourait à grands pas, et, impatiente de la lenteur du navire, elle imprimait ses dents d’ivoire dans l’écorce d’un citron :

— Pauvre fille, lui dis-je, vous souffrez de la poitrine, j’en suis sûr, et ce n’est pas ce qu’il faudrait.

Elle me regarda fixement et me dit :

— Qui l’a appris à vous ?

— La sibylle de Tibur, lui dis-je sans me déconcerter.

— Allez ! me dit-elle, je ne crois pas un mot de vous.

Ce disant, elle me regardait tendrement et je ne pus m’empêcher de lui baiser la main.

— Si j’étais plus forte, dit-elle, je vous apprendrais à mentir !…

Et elle me menaçait, en riant, d’une badine à tête d’or qu’elle tenait à la main.

Notre vaisseau touchait au port de Naples et nous traversions le golfe, entre Ischia et Nisida, inondées des feux de l’Orient.

— Si vous m’aimez, reprit-elle, vous irez m’attendre demain à Portici. Je ne donne pas à tout le monde de tels rendez-vous.